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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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de bon. Vous n’êtes plus en Pologne. Il faut une défaite comme la nôtre pour faire comprendre aux gens les méthodes allemandes et pour leur apprendre à lutter contre elles.
    Il ouvrit un tiroir, y prit une grosse liasse de billets français et me la tendit.
    — Veuillez recompter et signer le reçu. C’est pour vos dépenses à Paris. Vous avez droit à un gros traitement. Mais ne foncez pas sur Paris comme vous êtes. Changez de vêtements. Pour un espion, il serait évident que vous avez une mission importante à remplir. Faites-vous passer pour un réfugié ordinaire qui va s’engager dans l’armée. Quand vous serez à Paris, allez au camp de l’armée polonaise et faites-vous enregistrer comme volontaire.
    Je suivis ses instructions. Dans le train, entre Modane et Paris, j’étais dans un compartiment de première classe avec six autres voyageurs. Je les surveillais attentivement. Il y avait une femme âgée, très occupée à tourner les pages du Figaro  ; deux hommes qui, de toute évidence, voyageaient pour leurs affaires et parlaient de leur travail, de leurs amis, de la guerre. Les trois autres étaient de jeunes Polonais en route pour rejoindre l’armée. J’essayais de discerner si l’un des cinq avait une trace d’accent allemand. De temps en temps, il me semblait surprendre une faute dans la conversation des deux Français. Puis je changeais d’avis ; ce n’était pas évident de se rendre compte. Quant aux Polonais, j’aurais juré qu’ils étaient bien originaires de mon pays, mais ils pouvaient être d’ascendance allemande, comme les traîtres d’Oswiecim. Pour éviter d’être entraîné dans la conversation, je fermai les yeux et fis semblant de dormir.
    Le camp de recrutement de notre armée était situé dans la banlieue nord de Paris, à Bessières lvii . C’était à la fois un camp pour réfugiés et un centre de recrutement pour l’armée. Je m’y rendis et suivis la procédure d’enregistrement habituelle pour entrer dans l’armée ; j’y passai la nuit, comme si j’avais eu l’intention d’y rester. Le lendemain matin je me rendis en taxi dans le centre de Paris. De la première cabine téléphonique que je rencontrai j’appelai Kulakowski lviii secrétaire particulier du général Sikorski.
    — J’arrive de chez nous, lui dis-je, et il faut que je parle à votre chef.
    Je n’osai en dire plus au téléphone. Kulakowski me dit de me présenter à l’ambassade de Pologne, devenue le siège du chef du gouvernement, rue de Talleyrand, près des Invalides. Je m’y rendis. Il m’accueillit avec une nette réserve, me fit asseoir et appela au téléphone le professeur Kot lix . Kot était un des leaders du Parti paysan et occupait le poste de ministre de l’Intérieur dans le gouvernement en exil dirigé par Sikorski. Kulakowski me décrivit au téléphone et demanda des instructions. Kot s’attendait sans aucun doute à mon arrivée car Kulakowski me donna de nouveaux fonds, me dit de me loger n’importe où à Paris, et de me présenter le lendemain au ministère de l’Intérieur à Angers à onze heures.
    — Il faut d’abord que je retourne à Bessières, lui dis-je. J’y ai laissé mon pardessus et ma valise.
    — Y avait-il quelque chose d’important dans la valise ?
    — Bien sûr que non !
    — Alors ne vous occupez plus de vos affaires. Achetez-en d’autres. Il ne faut pas retourner à Bessières. Il pourrait y avoir là-bas des espions allemands. Ils s’infiltrent partout. Paris en est infesté.
    — On me l’a déjà dit. Et à Angers ?
    — Il y a du danger là aussi. Il faut faire très attention. Maintenant allez du côté de Saint-Germain et trouvez-vous un petit hôtel. Achetez d’avance votre billet pour Angers. Bonne chance.
    Je pris un taxi, me fis conduire boulevard Saint-Germain et retins une chambre dans un hôtel confortable mais très calme. Je disposais de l’après-midi et de la nuit, et je décidai d’en profiter. Je pouvais enfin jouir du fait que les dangers que je courais constamment à Warszawa étaient écartés.
    À Paris, on ignorait la peur de la Gestapo. Bien que le jour fût gris et le ciel menaçant, les boulevards étaient pleins d’une foule gaie, bien vêtue et encore plus cosmopolite qu’en temps de paix. C’était la période de la « drôle de guerre » qui devait bientôt si brusquement prendre fin. J’atteignis le Café de la Paix dont j’avais gardé le souvenir comme d’un

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