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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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approuvai chaleureusement.
    — L’armée, continua le général Sikorski, ne doit jamais, jamais s’immiscer dans la vie politique. Ce doit être l’armée de la nation, faite pour servir la nation et non la gouverner.
    Je lui posai une des plus épineuses questions que la Résistance eût à résoudre.
    — Jusqu’à quel point faut-il appliquer notre principe de non-collaboration ? Il existe des situations où il peut nous être profitable de nous infiltrer dans les organisations allemandes. Mais demeure le dilemme moral.
    La réponse de Sikorski fut significative.
    — Les Polonais de Paris, dit-il avec une pointe d’ironie, vivent très bien. Nous mangeons bien, nous dormons confortablement et nous avons peu de soucis personnels. Nous n’avons pas le droit de dicter leur conduite à ceux qui, en Pologne, souffrent et ont faim. Il ne me viendrait pas à l’idée d’essayer d’imposer ma volonté ; ce serait immoral. Le gouvernement polonais en France n’a qu’un objet : défendre à l’étranger les intérêts de la Pologne. S’ils veulent mon opinion, je leur dirai qu’au point de vue international, toute forme de collaboration nous est nuisible. Qu’ils fassent ce qu’ils jugent nécessaire. Tant que nous sommes ici, nous ne pouvons pas donner d’ordre aux Polonais. Notre tâche est de combattre les Allemands. Qu’ils se souviennent de notre histoire et de nos traditions ! Dites-leur qu’ici nous sommes sûrs qu’ils choisiront le bon chemin lxii .
    Comme conclusion à cette entrevue, Sikorski déclara nettement que la tâche de la Résistance et du gouvernement pendant cette guerre était non seulement de maintenir l’État polonais, mais aussi de le développer et de l’améliorer.
    Le lendemain, je tombai sur Kot par hasard au Café de la Paix. Il fréquentait sans doute l’endroit avec sa régularité habituelle. À Krakow, il avait aussi fréquenté un certain café avec tant d’assiduité que ses étudiants l’avaient surnommé le « Café Kot ». Kot approuvait pleinement les propositions que j’avais apportées. À son avis, la Pologne serait occupée pendant longtemps et la Résistance devait se préparer à une longue lutte. Ensuite, il me conseilla de me mettre en relation avec le général Sosnkowski, chef de la résistance militaire lxiii .
    Je téléphonai à son aide de camp, qui arrangea une rencontre dans un modeste bistrot. Sosnkowski, type parfait du militaire, grand, massif, soixante-cinq ans environ, yeux bleus extraordinairement perçants sous des sourcils en broussaille, avait été chef d’état-major de Pilsudski au temps où celui-ci organisait les forces clandestines contre nos oppresseurs, avant la Première Guerre mondiale. Il n’avait pas oublié cet entraînement et demeurait conspirateur jusqu’à la moelle des os.
    Il commença donc par me reprocher vertement d’avoir téléphoné aussi ouvertement à son aide de camp. Ignorais-je que le téléphone était surveillé ? Je ne répondis rien. Il m’interrogea sur la Pologne, mais ne fit aucune suggestion quand j’évoquai les divers problèmes sociaux et politiques. Il souligna que son métier, c’était les affaires militaires. Il pensait, lui aussi, que la Pologne serait occupée longtemps et qu’il était de la première importance que le peuple polonais se rendît compte que cette guerre n’était pas une guerre comme les autres et que, lorsqu’elle serait finie, tout serait changé.
    Je restai six semaines à Paris. Presque tout mon temps était pris par le travail de rédaction des rapports que j’aurais à remporter avec moi. Mes rares heures de loisir se passaient en promenade avec Jerzy Jur. Avant de quitter Paris, je vis Kot une dernière fois qui m’indiqua les noms de toutes les personnalités de la Résistance qu’il me faudrait absolument voir. Il fut très cordial et me quitta en me disant :
    — Selon la tradition, je devrais vous obliger à jurer que vous ne nous trahirez pas. Mais si vous étiez assez vil pour nous trahir, vous le seriez aussi pour vous parjurer. Ainsi, serrons-nous seulement la main. Bonne chance, Karski !
    Pour le retour, je voyageai sous un autre nom et avec d’autres papiers. Je pris le Simplon-Orient Express pour Budapest via la Yougoslavie. Là, je m’arrêtai deux jours et, pour rendre service à « notre » contact, j’acceptai de transporter en Pologne un havresac rempli d’argent en lieu et place de l’agent subalterne auquel

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