Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
ne les aime pas non plus.
— Vous nous aimez davantage ?
Son ton était ironique, sarcastique.
— Eh bien – j’essayais de paraître embarrassé, ingénu –, nous avions davantage confiance en vous.
— Vous aviez davantage confiance en nous ? Vous voulez dire qu’il n’en est plus rien ? Comme c’est terrible !
— Ce n’est pas que je me méfie du peuple allemand… C’est que je ne comprends pas pourquoi l’on ne me croit pas, dis-je en paraissant troublé. Je voulais uniquement me rendre en Suisse… à Genève… chez un ami.
— Vous nous aimiez et vous aviez confiance en nous, murmura-t-il avec ironie, mais vous désiriez nous brûler la politesse ? Je ne suis pas fils de professeur, moi, je ne vous comprends pas.
Cet homme était un bouffon, mais il ne manquait pas d’habileté. Il savait déformer adroitement mes propres remarques. Je m’efforçai de conserver un air grave et naïf.
— Je suis étudiant, la guerre a interrompu mes études. J’en avais assez de tout cela, je voulais aller étudier en Suisse.
— Ne vouliez-vous pas par hasard aller en France rejoindre l’armée polonaise ?
— Non, je vous jure que je voulais aller en Suisse pour y vivre en paix jusqu’à la fin de la guerre. Je ne voulais pas me battre contre vous ni contre qui que ce soit. Je voulais étudier.
— Bien, bien, continuez, dit-il en affectant de sourire. Vous m’intriguez.
Ce fut à nouveau une explosion de rires. Il leva la main pour rétablir le silence, à la façon d’un artiste recevant avec modestie l’hommage des applaudissements, mais désireux de poursuivre son numéro.
— Dites-moi tout, votre voyage a dû être très intéressant.
— Il n’a pas été précisément intéressant. Mon père et moi, nous avons discuté mon départ. Puis, un jour, j’ai franchi la frontière germano-soviétique et je me suis rendu à Warszawa. Je voulais échapper aux Russes à tout prix.
— C’était illégal, savez-vous, dit-il avec condescendance. Vous ne deviez pas agir ainsi.
Puis il ajouta en agitant la main :
— Je regrette de vous avoir interrompu. Continuez, je vous prie.
— À Warszawa, je rencontrai par hasard un de mes anciens condisciples du collège, et je lui ai demandé de m’aider à me rendre à Genève. Il s’appelle Mika. Il habite Warszawa, 30, rue Polna. Il a eu l’air un peu mystérieux et m’a donné rendez-vous le lendemain dans un café. C’est alors qu’il me promit de m’aider à atteindre Kosice, en Hongrie, si je remettais à l’un de ses amis un film montrant les ruines de Warszawa. J’acceptai et mon ami me remit le film, quarante-cinq dollars, et l’adresse d’un guide dans une ville près de la frontière. Voilà toute l’histoire jusqu’au jour où vos hommes m’ont arrêté. C’est la vérité, je le jure.
Je lui donnai un faux nom et une fausse adresse à Kosice. Mais le nom de mon ami Mika, à Warszawa, qui était supposé m’avoir aidé, était un nom authentique. Son adresse aussi était exacte. Toutefois, je savais que mes révélations ne pourraient lui nuire, car il avait fui la Pologne trois mois plus tôt.
Au début de mon récit, l’inspecteur s’était renversé sur sa chaise qu’il maintenait en équilibre sur deux pieds. Il avait joint ses mains derrière la nuque et fermé les yeux comme s’il s’apprêtait à écouter un solo exceptionnel et en goûter pleinement le charme. Lorsque j’eus terminé, il ouvrit lentement les yeux, ses lèvres esquissèrent une moue moqueuse.
Il regarda vers un des côtés de la pièce, et fit un signe à un homme qui tenait un sous-main sur ses genoux.
— As-tu bien noté cette touchante histoire, Hans ? Je ne veux pas qu’on y change un seul mot. Je veux la lire exactement telle quelle.
Puis il fixa ses yeux sur mon visage et il murmura :
— Parfait, parfait. Vous m’excuserez de ne pas vous écouter davantage ? Demain, un de mes collègues aura le plaisir de vous entendre. Votre conversation avec lui sera sûrement beaucoup plus plaisante.
Il se tourna légèrement et, avec un changement surprenant dans la voix, il grogna pour la brute placée derrière moi :
— Ramène-moi cette crapule dans sa cellule.
Le gardien m’imprima à nouveau ses doigts sur la nuque et me remit debout. Il me donna une violente bourrade. Je trébuchai, mais un autre homme me poussa en avant. Les autres soldats se levèrent et en firent autant ; je passai de main en
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