Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
Vom Netzwerk:
main comme une balle. Arrivé à la porte, le gardien me flanqua dehors la tête la première. Je faillis me rompre les os.
    Dans ma cellule, je trouvai un ingénieux dispositif monté en mon honneur. Un énorme réflecteur avait été fixé sur une puissante ampoule. La lumière de l’ampoule diffusée dans toute la cellule était d’un éclat aveuglant, et il n’y avait aucun moyen d’échapper à ce supplice.
    Je me jetai sur ma paillasse. Le contrôle que je m’étais imposé dans le bureau m’abandonna d’un seul coup. Mes jambes étaient molles, tout mon corps tremblait sous l’effet retardé des réactions que j’avais réussi à refouler pendant l’interrogatoire. Je m’agitai convulsivement, j’essayai de protéger mes yeux de l’éclat aveuglant de la lumière du réflecteur. Il m’était impossible de mettre de l’ordre dans le chaos de mes pensées ou d’imaginer un plan quelconque.
    Je ne me faisais aucune illusion sur le crédit qu’avait pu trouver ma petite histoire. Je me rendais bien compte aussi que le traitement, relativement doux, que j’avais subi lors du premier interrogatoire, ne serait pas de longue durée. Mon histoire « collait trop bien » et elle avait trop de points faibles pour paraître véridique. Pourtant je savais qu’il me faudrait maintenir cette version, ne serait-ce que pour éviter le danger de dévoiler quelque information importante. C’était aussi une sorte d’analgésique ; c’était pour moi un véritable soulagement que de savoir que je n’aurais pas à me casser la tête à inventer quelque chose de nouveau. Durant toute la nuit, les phrases de mon récit résonnèrent dans ma tête en un rythme monotone. À l’aube, le gardien qui m’avait escorté le jour précédent se présenta dans ma cellule. Il n’était pas rasé, son uniforme n’était pas boutonné, sa chevelure était en désordre. Il me jeta un coup d’œil féroce pour indiquer que j’étais l’unique responsable de son réveil si matinal. Il tendit son index dans la direction qu’il voulait que je prenne. J’étais bleu de froid et d’insomnie. Je claquais des dents et mes genoux fléchissaient presque pendant que je marchais.
    Nous nous rendîmes dans la pièce où le premier interrogatoire avait eu lieu. Le mobilier avait subi quelques changements. Une petite table avait été placée à côté de la grande. On y avait disposé une machine à écrire toute neuve, quelques sous-main et des crayons. Les chaises alignées le long du mur avaient été enlevées. Il n’y avait que quatre hommes dans la pièce, en dehors de moi. Derrière la grande table, un nouveau fonctionnaire occupait un fauteuil tournant.
    Il appartenait à un type qui n’est pas très rare en Allemagne, mais qui est plus répandu dans la section de la Gestapo opérant en Pologne. C’était un gros homme dont la chair semblait avoir été moulée d’une seule pièce. Sa graisse ne formait pour ainsi dire pas de bourrelets, elle était toute en courbures. Son visage paraissait plus slave que nordique. Il avait un teint olivâtre, des yeux étroits et noirs, de hautes et puissantes mâchoires qui faisaient saillie sous les contours épais et flasques des joues, ce qui donnait à penser qu’il avait dû être maigre pendant sa jeunesse. Une forte barbe, rasée de près, donnait une teinte bleuâtre à ses lourdes joues.
    Ce gros visage, couronné de cheveux noirs lustrés ramenés avec soin en arrière et pommadés, avec des lèvres cruelles et serrées, donnait une impression extraordinaire de contrastes, de puissance grossière alliée à une délicatesse et à une cruauté toutes féminines. Pour un homme de sa taille, les mains étaient remarquablement fines, les doigts allaient en s’amincissant pour se terminer par des ongles bien soignés. Il n’arrêtait pas de tambouriner impatiemment sur la table, en regardant tout autour de la pièce.
    Les trois autres étaient les agents habituels de la Gestapo, d’un type courant, grands, bien musclés, nets dans leur uniforme. Mon sang se glaça quand je vis que deux d’entre eux étaient munis de matraques en caoutchouc.
    — Asseyez-vous à cette table, commença l’officier, et dites-nous la vérité. Nous ne vous ferons pas de mal, si nous n’y sommes pas forcés. Vous allez vous placer en face de moi. Vous me regarderez tout le temps droit dans les yeux. Il ne faut ni détourner la tête, ni regarder ailleurs. Vous devez répondre

Weitere Kostenlose Bücher