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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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immédiatement à mes questions. Il ne vous est pas permis de réfléchir. Je vous préviens que vous vous mettriez dans un mauvais cas, en faisant des réponses contradictoires, ou en essayant de vous rappeler vos mensonges pour raconter votre histoire comme vous l’avez déjà racontée.
    Les mots sortaient mécaniquement, comme s’il les avait prononcés un nombre incalculable de fois.
    En m’asseyant, j’essayai désespérément de réprimer tout indice de frayeur. Cependant, je sentais un muscle se crisper dans ma joue sans que je puisse l’en empêcher. Je passais constamment ma langue sur mes lèvres sèches. Les yeux de l’officier me fouillaient sans relâche. Je ne supportais pas cette inspection silencieuse. Le bruit des pieds raclant le sol, la lourde respiration des gardes contribuaient à rendre l’atmosphère tendue. Finalement, projetant son corps hors de son siège, comme un phoque élégant, l’officier choisit un endroit propre de la table pour y poser les coudes avec une délicatesse calculée ; il joignit l’extrémité de ses doigts, et parla d’une voix étouffée, mais sonore et onctueuse.
    — Je suis l’inspecteur Pick, dit-il avec importance. Si vous n’avez pas encore entendu parler de moi, vous en tirerez un certain réconfort pour un moment. Je ne permets jamais à un homme de sortir d’ici sur ses pieds ou sur ses mains, sans en avoir extrait la vérité. Si je ne réussis pas, il ne reste généralement pas assez du prisonnier pour qu’on puisse lui trouver figure humaine. Je puis vous assurer qu’après quelques-unes de nos caresses, vous regarderez la mort comme un luxe. Je ne vous demande pas une confession. Que vous la fassiez ou non, je m’en moque. Si vous êtes raisonnable et que vous dites la vérité, vous serez épargné. Si vous ne l’êtes pas, vous serez battu jusqu’à deux doigts de la mort. Je n’éprouve pas le moindre respect pour l’héroïsme. Certains héros qui ont la capacité d’encaisser une dose inaccoutumée de mauvais traitements ne m’impressionnent pas le moins du monde. Maintenant je vais commencer votre interrogatoire. Souvenez-vous que je ne tolère aucune hésitation. Vous avez une fraction de seconde pour répondre à une question. Chaque fois que vous manquerez de répondre promptement, il vous en cuira.
    Ce long préambule sembla l’épuiser. Comme un ballon dégonflé, il s’effondra dans le fauteuil de cuir où il se balança légèrement.
    — Connaissez-vous un homme du nom de Franek ? dit-il dans un ronronnement indolent.
    — Franek ?… Franek ? Non, je ne crois pas. Ma voix était mal assurée et tremblante.
    — Je pensais bien que vous diriez cela. Mais nous ne voulons pas vous donner la récompense due à votre premier mensonge – pas encore. Franek était un guide du mouvement clandestin. Nous avons mis la main sur lui, il y a quelques semaines. Il nous a tout indiqué, les itinéraires et les points d’arrêt. Nous savons beaucoup de choses sur tous ceux d’entre vous qui prennent cette route. Que faites-vous et dans quel but ces voyages ? Ne niez pas votre travail dans la Résistance. C’est inutile. Nous espérons que vous allez dire tout ce que vous savez, monsieur l’émissaire. Comprenez-vous ?
    J’humectai mes lèvres. Ma gorge me faisait mal tant elle était desséchée. Il semblait connaître ou avoir deviné pas mal de choses. Je le fixai stupidement et d’une voix rauque je protestai faiblement :
    — Je ne vous comprends pas. Je ne suis pas un émissaire.
    Il fit un signe aux hommes placés derrière moi et joignit les mains sur sa poitrine. C’était le signal attendu. L’un des hommes me frappa violemment derrière l’oreille avec sa matraque. Une douleur atroce éclata dans tout mon corps comme si un éclair m’eût traversé. De tous les coups que j’ai eu à supporter, je n’ai jamais ressenti quelque chose de comparable à la douleur intense produite par la matraque de caoutchouc. Elle faisait vibrer tous les muscles de mon corps dans une agonie horrible. Cela ressemblait à la sensation produite par le foret du dentiste quand il touche un nerf, mais multipliée à l’infini et répandue dans tout le système nerveux.
    Un cri m’échappa, et je reculai, en voyant du coin de l’œil l’autre matraque prête à me frapper. L’inspecteur leva la main pour arrêter le coup.
    — Nous allons lui donner encore une chance, ricana-t-il. Il ne paraît pas être du type qui

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