Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
puisse supporter grand-chose. Allez-vous parler maintenant ?
— Oui mais vous ne me croirez pas, marmonnai-je.
La douleur provoquée par ce coup paralysant disparut assez rapidement, n’en laissant subsister que le souvenir, et l’appréhension maladive d’être frappé à nouveau. Mais la fatigue, le manque de nourriture et de sommeil, les autres coups que j’avais reçus, et la nature démoralisante de l’épreuve contribuaient à me donner le vertige et la nausée. Je fermai la bouche, et dégringolai presque de ma chaise. L’inquisiteur se recula avec un dégoût distingué.
— Faites-le sortir ! cria-t-il aux hommes. Menez-le à une cuvette, avant qu’il ne nous jette tout son paquet ici.
Ils me tirèrent de ma chaise et me poussèrent dans un lavabo malpropre. Je vomis dans un urinoir puant, l’estomac contracté de spasmes pénibles. Lorsque je me relevai, un des hommes me tendit une bouteille d’alcool. J’avalai une gorgée, puis ils me l’arrachèrent et me traînèrent jusqu’à ma chaise où je m’effondrai, me sentant vidé de tout atome d’énergie, sans vie, la tête vide.
L’inspecteur Pick s’épongeait la bouche avec un mouchoir de poche.
— Comment vous sentez-vous ? me demanda-t-il, avec un rictus de répugnance.
— Très bien, il me semble, répondis-je faiblement.
— Alors, répondez à mes questions. Où avez-vous commencé votre voyage ? Qui vous a fourni les papiers et le film ?
— Je l’ai dit à l’autre inspecteur. Je suis parti de Warszawa. Mon ami, mon camarade de collège, m’a donné le film.
— Vous persistez à répéter ce conte à dormir debout. Vous attendez-vous à ce que nous croyions que les clichés ne reproduiraient que les ruines de Warszawa ?
— C’est tout ce qu’il y avait dessus. Je le jure.
— S’il en était ainsi, pourquoi l’avez-vous jeté dans l’eau ?
J’hésitais. Ma seule source d’énergie venait du fait que le film avait été détruit par l’eau. À part les faux documents, il n’y avait pas l’ombre d’une preuve matérielle contre moi.
— Répondez-moi ! Sa voix exaspérée, montée de plusieurs tons, m’arracha à mes réflexions. Pourquoi l’avez-vous jeté à l’eau ?
— Je ne sais pas, dis-je d’une voix timide. Je pensais protéger ainsi mon ami.
— Vous pensiez que cela protégerait votre ami, dit-il avec mépris. Comment cela ? Son nom était-il inscrit sur le film ?
— Non. C’est l’instinct, je suppose, qui m’a fait agir ainsi.
— L’instinct ? Vous avez l’habitude d’agir par instinct ? C’est l’instinct aussi qui vous a fait cacher votre sac, je suppose ?
— Je n’avais pas de sac, répliquai-je avec indignation, en prenant un air d’innocence blessée.
— Tu es un damné menteur ! hurla un des gardiens en m’écrasant son poing sur la bouche.
Je sentis une dent craquer et devenir branlante. Du sang coulait de mes lèvres. Je passai ma langue sur mes lèvres et la poussai contre la dent mobile. Machinalement, je l’aspirai, essayant de la détacher complètement.
D’un geste l’inspecteur écarta le gardien. Il me regardait froidement.
— Et vous pensez nous faire croire que vous vous êtes caché pendant quatre jours, aux abords de la frontière, sans avoir de provisions ?
— C’est la vérité, dis-je avec véhémence. Croyez-moi, je vous prie. Nous avons acheté de la nourriture aux paysans en cours de route.
— Je sais que vous mentez, dit-il avec une aménité onctueuse. Nous avions placé du monde à tous les points d’arrêt indiqués par Franek. Nous vous avons attrapé près de Presov. Il n’y avait pas de paysans chez qui vous eussiez pu vous procurer de la nourriture, et vous ne vous êtes arrêté dans aucun village, sinon nous vous y aurions cueilli. Et maintenant, pour la dernière fois, où avez-vous caché votre sac ?
Je retournai fiévreusement le problème dans ma tête. Il n’y avait rien de compromettant dans mon sac. Mais je sentais qu’une fois que j’aurais commencé à modifier mon histoire, j’en perdrais trop facilement le fil conducteur et que je pourrais bien révéler quelque chose d’important, si je ne savais plus quoi dire.
De nouveau la douleur fulgurante se répercuta en moi, sans avertissement ; le coup de matraque m’avait touché derrière l’oreille. Je glissai du bord de la chaise, feignant l’évanouissement, et je m’écroulai sur le sol. La voix de
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