Montségur, 1201
la pierre. Je l’ai trouvée, mais mes jambes
ne me portaient plus. Je me suis réfugié dans cette salle. J’avais ramassé des
glands et des racines. Je les ai broyés avec le peu d’orge qui me restait, mais
je savais que je ne pourrais jamais revenir auprès d’Ornolac. Je n’en avais
plus la force. Le Seigneur m’avait conduit, mais il ne voulait pas que
j’apprenne le secret de la pierre. J’ai pleuré, et je l’ai entendu.
— Entendu ? demanda Sanceline,
impressionnée par le récit de son père.
— Oui, c’était le Seigneur Jésus, il m’a
dit : Qui perd sa vie à cause de moi la gardera. Celui qui cherchera à
sauver sa vie la perdra et celui qui perdra sa vie à cause de moi gagnera le
royaume des Cieux.
« J’ai compris que je devais encore lutter.
J’ai cherché de quoi me nourrir jusqu’à ce que j’aperçoive quelques poireaux
sauvages près de la corniche où vous m’avez trouvé. Leurs racines m’auraient
alimenté quelques jours. C’est alors que j’ai glissé.
— Nous allons vous transporter jusqu’à la
pierre, décida Guilhem. Vous nous montrerez la direction de la source, puis
nous redescendrons.
— Et ensuite ?
— Ensuite nous irons à la fontaine aux fées.
— Mais nous ignorons où se trouve la grotte,
remarqua Sanceline.
— Pour la trouver, il suffira de marcher
mille deux cents pas vers le midi, puis cinq cents pas vers le couchant.
Chacun le regarda, interloqué.
— Comment le sais-tu ? demanda Wolfram.
— Dans la grotte de l’ermite était dessiné un
mamelon qui avait la forme de la montagne de Montségur. À côté était tracé
ceci…
Sur le sol, Guilhem dessina avec son index : ORBE MCC D O .
— Je connais cette fontaine aux fées. On
l’appelle la fontaine d’Orbe. Cette inscription donnait donc des indications
que l’ermite voulait conserver, mais je ne les ai pas comprises. Enguerrand
vient de me révéler les éléments qui me manquaient… MCC signifie mille deux cents et D ,
cinq cents. Ornolac avait dit qu’il fallait marcher vers le midi. C’est le
soleil qui indique la direction à prendre pour la première distance.
— Et le O ? demanda Sanceline.
Ce fut Wolfram qui répondit :
— L’occident, le couchant… Tu as sans doute
raison, Kyot, mais pourquoi les distances seraient-elles des pas ? Ce
pourrait aussi bien être des pieds, ou toute autre mesure…
— Certes, mais le pas est la plus simple des
mesures. Ce sont sans doute des pas de trois pieds.
Il s’adressa à Enguerrand.
— Dites-nous où est exactement la pierre
gravée.
— À l’extrémité du plateau, au levant,
seigneur Guilhem. Vous ne pourrez pas ne pas la voir.
— Il reste tout de même une question en
suspens, fit Wolfram. Ornolac a-t-il parlé à ceux qui l’ont torturé ? Tout
laisse à penser que oui, puisqu’ils étaient devant nous et qu’ils semblent
avoir poursuivi vers le levant. Auquel cas, ils sont déjà en possession de la
pierre du Graal.
— Croyez-vous qu’il ait été homme à parler
sous la torture ? demanda Guilhem au père de Sanceline.
— Dieu sait ce que l’on peut avouer quand on
souffre, mais s’il l’a fait, il me paraît impensable qu’il leur ait confié
l’entière vérité.
— Admettons, fit Wolfram en levant une main
conciliante. Seulement, même si vous avez raison, nos amis, Dracul, ou ces
moines, ou encore ce Brasselas sont sur place, à chercher la grotte. Nous
allons les rencontrer… et les affronter. Maître Enguerrand, et vous gentille
Sanceline, vous allez nous embarrasser…
— Je ne resterai pas ici ! décida
Sanceline, lui lançant un regard noir.
— J’aurai la force de venir avec vous, assura
Enguerrand. Je vous en prie… Je veux voir la pierre !
Guilhem aurait préféré les confier à la ferme dont
il avait parlé à Sanceline, mais le père et la fille avaient tant été à la
peine qu’il aurait été injuste de leur refuser d’être présents lors de la découverte
du graal.
— Wolfram, ils nous accompagneront. Mais s’il
y a danger, ils se réfugieront au village de Bélesta qui est tout proche de la
source. Guilhem sortit, suivi de Wolfram et d’Alaric qui n’avait pipé mot.
Sanceline donna quelques figues sèches à son père, après les avoir découpées,
car le pauvre vieillard n’avait plus beaucoup de dents.
Ils trouvèrent la pierre dont Enguerrand leur
avait parlé, une roche plate posée sur trois blocs. Une flèche
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