Montségur, 1201

croassaient de rauques
reproches.
    — Vous allez lui donner l’émeraude ?
demanda Castelnau.
    — Je n’ai pas le choix.
    — Et nous, que devenons-nous ?
    — Quand Sanceline et le seigneur d’Eschenbach
seront là, vous pourrez vous faire pendre ailleurs. Je n’ai que faire de vous.
    — Nous serons libres ? demanda frère
Gui, plein d’espoir.
    — Pour ce qui me concerne, oui. Avec le
Seigneur Dieu, c’est une affaire entre lui et vous.
    Les deux moines s’éloignèrent.
    Peu après déboulèrent le comte Dracul et Radu.
Dracul leva la tête et l’aperçut. Il parut satisfait et sourit. S’approchant au
plus près de l’éboulis, là où se trouvait le corps du moine, il cria, désignant
le cadavre :
    — Lancez la pierre sur lui pour qu’elle ne se
casse pas !
    — Libérez les otages ! cria Guilhem.
    Le comte Dracul se tourna vers Sanceline :
    — Vous pouvez partir, dit-il avec une sorte
de désinvolture ironique.
    — Coupez nos liens ! demanda Wolfram.
    — Non, débrouillez-vous.
    Wolfram fit signe à Sanceline de filer au plus
vite jusqu’à l’endroit par où Dracul était arrivé. En trébuchant sur le sol
rocailleux, ils l’atteignirent difficilement et entreprirent de remonter la
pente, chutant plusieurs fois à cause de leurs mains liées.
    — La pierre, seigneur d’Ussel, ou je les
rattrape ! menaça Dracul.
    Sanceline et Wolfram étaient encore visibles et
Guilhem hésita.
    Les premiers flocons commencèrent à tomber.
     

Chapitre 31
    G uilhem
jeta l’émeraude aux pieds du prince valaque et, sans attendre, se précipita
pour prêter main-forte à Alaric tant il était certain qu’une traîtrise se préparait.
    Pourtant ses craintes étaient vaines.
    Certes, après avoir ramassé l’émeraude tombée sur
la robe de Bernard d’Urgio, Dracul avait envisagé de rattraper les prisonniers,
ou au moins d’envoyer Radu les percer d’une flèche. Il avait le cœur gonflé de
dépit pour avoir dû céder aux injonctions de cet insolent Ussel et se venger
l’aurait apaisé. Mais Dracul était avant tout un être froid chez qui la raison
dominait les sentiments.
    Il avait deviné combien Ussel pouvait être
redoutable. Dans l’accomplissement de sa vengeance, un de ses hommes pouvait
être navré. Or, il avait un long et difficile voyage à accomplir jusqu’en
Valachie. À quatre, ils pourraient à peine s’occuper des chevaux et ils
auraient du mal à se défendre s’ils faisaient de mauvaises rencontres. Il ne
pouvait s’offrir un affrontement, uniquement pour satisfaire ses passions.
    Il admira donc un instant la pierre de Lucifer
avant de la glisser dans une fonte de sa selle. Puis il donna ordre à ses
hommes de se mettre en route.
    Rapidement, il rejoignit Dragu qui les attendait
avec les chevaux de bât, près de la fontaine.
    Au trot, ils prirent la direction de Bélesta.
     
    Guilhem d’Ussel courait à perdre haleine. Glissant
dans les pentes et s’accrochant aux touffes d’herbes et aux branches, il
ignorait la douleur de son épaule meurtrie par le carreau d’arbalète. Enfin il
aperçut Alaric qui avait déjà rejoint Sanceline et Wolfram.
    — Seigneur, cria Alaric en l’apercevant, ils
sont saufs !
    Guilhem ressentit un immense soulagement. Il prit
alors seulement conscience de la neige qui le fouettait et du froid qui
s’installait.
    Sanceline accourait et se jeta dans ses bras où
elle se serra comme si elle voulait s’unir à lui pour l’éternité.
    Wolfram les ramena à la réalité.
    — Kyot, les suivons-nous ? On peut les rattraper…
    — Je peux les poursuivre, seigneur !
lança Alaric.
    À regret, Guilhem se sépara de Sanceline. Il
regarda le ciel gris et hésita. Il mourait d’envie d’y aller, de tout tenter
pour rejoindre les valaques, malgré la vanité de l’entreprise puisqu’ils
n’avaient ni chevaux ni armes. Mais il serait contraint de laisser Sanceline.
Or, c’était à lui de la protéger. De plus, la neige allait les piéger dans ce
bois s’ils s’attardaient.
    — Ce serait inutile, dit-il. Ils doivent être
loin… Mais la partie n’est pas terminée.
    Eschenbach lui lança un regard interrogateur.
    — Retournons au gouffre. Alaric, reste
derrière nous et sois vigilant. Je n’exclus pas une traîtrise de Dracul.
    — Comment as-tu trouvé l’émeraude,
Kyot ? demanda Wolfram après un moment.
    La question lui brûlait les lèvres depuis que
Guilhem était sorti du gouffre.
    — Comme