Montségur, 1201
montèrent l’un sur le cheval de
tête, l’autre sur le dernier, Sanceline et Eschenbach étant au milieu. Le
convoi s’éloigna.
Le comte Dracul resta donc seul, gardant l’arc
encoché d’une flèche. Près de la falaise du ravin, frère Gui priait,
agenouillé, tandis que Pierre de Castelnau, debout, s’inquiétait de ce qui
allait leur arriver. Il regrettait sincèrement, mais trop tard, d’avoir
poursuivi cette absurde quête du Graal, négligeant la mission confiée par le
Saint-Père.
Alaric, toujours agenouillé, était entravé.
Enguerrand, à demi couché, était comme absent, ne sachant que penser de la mort
et de la résurrection de sa fille. Guilhem debout, toujours près du gouffre,
gardait l’émeraude à la main.
Le silence s’imposa un long moment, jusqu’à ce que
Guilhem demande :
— Que ferez-vous de la pierre de Lucifer,
seigneur comte ?
— Elle appartient à mon peuple qui pourra à
nouveau l’honorer.
— Savez-vous qu’elle me protège, tant que je
la possède ?
— Voulez-vous qu’on vérifie ? proposa le
valaque avec un sourire cruel. Je peux vous envoyer ce trait dans le ventre,
juste pour en être certain.
— Non, ce sera inutile, sourit à son tour
Guilhem, comme s’il appréciait la plaisanterie. Jusqu’ici, elle m’a sauvé la
vie, mais il est inutile de trop la solliciter. Voyez-vous, d’après ce que m’a
appris le seigneur d’Eschenbach, qui lui-même le tenait du seigneur Tannhäuser,
la pierre ne protège et ne sauve que les esprits purs. Sanceline en fait
partie, mais je crains de pas en être un. Vous encore moins. D’ailleurs, elle
n’a pas protégé le roi Alaric contre Clovis.
— Je saurai l’utiliser, répliqua seulement le
comte Dracul.
Le silence s’installa à nouveau. La nuit approchait
et Guilhem tentait d’échafauder des plans en évitant de regarder l’endroit où
il avait enfoncé la lame du couteau dans la terre meuble, quand il s’était jeté
sur le sol. Seule l’extrémité du manche dépassait. Comme ce n’était qu’un
morceau de bois, il ressemblait à une souche et Radu ne l’avait pas remarqué.
Pouvait-il jouer sur le pouvoir de l’émeraude de
Lucifer ? Ramasser le couteau et se précipiter sur le comte en gageant
qu’il le raterait ? Selon les dires de la geste de Perceval, il ne pouvait
mourir durant sept jours. Mais ce n’était peut-être que le fruit de
l’imagination d’un troubadour… S’il n’y avait pas eu Sanceline, il aurait tenté
sa chance, mais si Dracul le tuait ou le blessait, qui la protégerait ?
Un cri et une suite de paroles gutturales
montèrent du ravin. Castelnau se pencha.
— Vos serviteurs sont de retour, noble comte,
dit-il.
— J’ai entendu, répliqua seulement Dracul.
Quelques instants plus tard, Radu apparaissait.
— Seigneur d’Ussel, vous êtes libre de vos
mouvements dès cet instant. Je rejoins les otages, mais quand j’arriverai en
bas, je veux vous voir exactement là où sont les moines. Vous aurez l’émeraude
à la main. Sinon, vous ne les reverrez plus vivants.
Il se tut un instant pour insister sur sa menace.
— J’y serai, comte, promit Guilhem, se jurant
intérieurement qu’il enverrait lui-même Dracul au royaume des taupes.
— Vous me jetterez la pierre et je les
libérerai, poursuivit le valaque.
— Non ! Vous les libérerez et, dès
qu’ils seront hors de votre portée, je lancerai la pierre. À mon tour de vous
menacer, comte : si vous ne respectez pas notre accord, ou qu’il leur
arrive malheur, je vous retrouverai, dussiez-vous être au bout du monde.
Dracul ne répondit pas et lui tourna
ostensiblement le dos, partant avec Radu. À peine fut-il hors de vue que
Guilhem se baissa et tira le couteau du sol. Il se précipita aussitôt vers
Alaric, trancha ses liens et lui donna l’arme ainsi que la fronde.
— Alaric, suis-les sans te faire voir. Quand
il libérera Sanceline et le seigneur Eschenbach, appelle-les et protège-les. Je
te rejoindrai.
Alaric se saisit des armes et fila. Guilhem se
rendit à la falaise, ignorant les moines.
Il vit Sanceline et Wolfram, tous deux les mains
liées. Ils avaient dû venir à cheval, car il y avait trois montures. Andriescu
était en selle, arc à la main, tandis que Sanceline et Wolfram étaient debout
près de lui. Guilhem leur fit un signe amical.
À quelques pas gisaient Bernard d’Urgio et, plus
loin, l’homme de Brasselas. Quelques corbeaux, dérangés,
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