Montségur, 1201
prieurs étaient là, mais aussi plusieurs chevaliers brûlant
d’entendre la fin de l’histoire de Perceval le Gallois.
Cette fois, il y avait Vladislas de Valachie, bien
que son écuyer et ses deux hommes d’armes aient rejoint la grande chasse. La
veille, le comte Dracul avait combattu en lice et, tombé de cheval, il s’était
meurtri l’épaule. Aussi avait-il préféré se reposer avant son départ pour la
Transylvanie, le lendemain. De plus, lors du souper, il avait entendu dire que
les deux Allemands racontaient une histoire passionnante qui se passait dans un
château nommé Montsalvat.
Quant aux trois cisterciens, Raymond leur avait
fait savoir qu’il les recevrait à nouveau mardi, après le départ de ses
invités. Comme ils n’allaient pas chasser, et qu’ils voulaient profiter des
pâtés et des pâtisseries, ils se rendirent, comme la veille, dans la grande
salle.
La cour d’amour se déroula à peu près comme la
précédente. À tour de rôle, seigneurs, chevaliers et prélats déclamèrent des
chants, sous le jugement d’Esclarmonde et d’Amicie.
Plusieurs obtinrent un franc succès, en
particulier Guilhem qui interpréta quelques ballades de sa composition. Mais,
en vérité, chacun attendait avec impatience les deux maîtres chanteurs
allemands.
Enfin ce fut leur tour. Tout le monde était
suspendu aux lèvres de Wolfram d’Eschenbach.
— Vénérés prélats, hauts et gracieux
seigneurs, nobles et gracieuses dames, hier et avant-hier, je vous ai conté
l’histoire de Perceval, telle que Maître Chrétien de Troyes l’a rapportée, à
partir de vieilles légendes qu’il connaissait. Seulement Maître Chrétien
ignorait qu’une grande partie de ce conte était la vérité vraie.
Il se tut un instant, balayant la salle du regard
comme pour insister sur ce qu’il disait. Il y eut quelques murmures de
stupéfaction qui cessèrent dès qu’il reprit la parole.
— Parce qu’il ne connaissait pas la vérité,
Maître Chrétien de Troyes a mal traité cette histoire. Il ne savait pas ce que
contenait le graal aperçu par le preux Perceval, ou s’il l’avait appris, Dieu
l’a rappelé à lui avant qu’il puisse le révéler. Je vais donc vous donner la
véritable fin et vous apprendre ce qu’est le graal.
« Je sais d’avance que ce que je vais vous
apprendre est si incroyable que beaucoup d’entre vous le rejetteront. Sachez
pourtant que je n’ai rien inventé. Cette vérité n’est pas sortie de mon
imagination. C’est mon ami et compagnon Conrad qui l’a apprise lors de la
croisade à laquelle il a participé. Il nous a fallu trois longues années pour
la vérifier, et nous n’en avons pas encore terminé.
Après ce singulier prologue, l’assistance resta
plus attentive encore, chacun se demandant si les affirmations du chevalier
étaient vraies, ou si ce n’était qu’un artifice comme en font souvent les
poètes pour capter l’intérêt de leur public.
Conrad de Tannhäuser avait repris la harpe et
Eschenbach commença son chant, en vers et en langue d’oïl, s’interrompant par
instants, comme la veille, pour ajouter des explications en langue d’oc.
— Perceval errait donc depuis cinq années,
maudissant Dieu qui, selon lui, l’avait frappé d’une injuste malédiction en
l’empêchant de retrouver ce château mystérieux de Montsalvat. Entre-temps, il
avait épousé une reine, mais il l’avait perdue, lui gardant pourtant son amour.
« Ses malheurs durèrent jusqu’au jour où il
rencontra un vieux chevalier accompagné de ses filles qui faisaient, pieds nus,
un pèlerinage à un ermitage. Le vieux chevalier lui reprocha de porter les
armes un vendredi saint et lui demanda de se joindre à eux pour faire
pénitence. Perceval refusa, trop ennemi de Dieu pour les imiter. Mais à quelque
distance, le repentir s’empara de son âme et il se rendit à l’ermitage.
« Là, il y trouva un oncle qui avait dit
adieu à la chevalerie pour embrasser la vie pénitente. Perceval reconnut alors
ses fautes :
Je
suis accablé sous le faix pesant de la douleur,
Depuis
ce temps, personne ne m’a vu entrer dans aucune des églises,
Je
n’ai recherché que des combats,
Et
je suis dans mon cœur irrité contre Dieu
Car
c’est lui qui a présidé à la naissance de mes soucis.
— L’ermite soupira et lui dit :
Seigneur, si vous êtes homme de sens, il vous faut faire à Dieu pleine
confiance : il vous portera secours.
« Son
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