Montségur, 1201
l’embarras.
Guilhem savait qu’ils avaient raison et n’insista
pas. Il avait surtout hâte de savoir ce que Sanceline voulait. Elle n’avait
presque pas parlé durant le repas, ne souhaitant pas confier à quiconque, même
aux Parfaits, les raisons de sa visite.
Les deux diacres les bénirent à nouveau, comme ils
bénirent les gens présents dans l’hôtellerie qui vinrent s’agenouiller devant
eux. Ils partirent ensuite et Eschenbach les accompagna jusqu’au portail de la
clôture, moins par courtoisie que pour laisser seuls Guilhem et Sanceline.
Ils montèrent dans la chambre, sous les regards
moqueurs de quelques hommes persuadés qu’ils allaient jouer du serre-croupière.
Elle s’assit sur le lit et il se mit à côté
d’elle, déjà enivré par la senteur du romarin qu’elle utilisait pour éloigner
les poux.
— Raconte-moi, maintenant. Que deviennent les
autres… et toi ?
— Nous sommes tous bien installés à Albi. Je
suis quelque temps restée dans la maison de Gros Bertaut, pour l’aider à
tisser. Mais je dois te l’avouer, Guilhem, je ne pensais qu’à toi. J’espérais
que tu viendrais.
Elle éclata en sanglots et le cœur de Guilhem
s’emplit de honte et de désespoir. De honte, car il avait promis qu’il
viendrait la chercher, et il ne l’avait pas fait. De désespoir, parce que s’il
avait éprouvé pour elle la plus sincère passion qui fût jamais, elle l’avait
pourtant rejeté pour devenir Parfaite.
— Nous étions à l’étroit dans une seule
pièce, car son gendre Estienne vivait avec nous. Noël de Champeaux m’a alors
proposé d’aller chez lui, mais il a rencontré une veuve qu’il va épouser. Elle
ne voulait pas d’une autre femme dans sa maison.
Elle sourit tristement.
— Mon père était toujours sur les routes,
prêchant la bonne parole, et c’est lui qui m’a proposé d’entrer dans une maison
de Parfaites. J’y étais jusqu’à présent. La journée, je tissais, et le soir, je
me faisais instruire pour recevoir le consolamentum .
Vaincue par un flot d’émotions confuses, elle
ajouta.
— Heureusement, penser à toi me faisait
trouver le temps moins long. Il y a deux mois, mon père est venu me voir. Il
m’a affirmé savoir enfin où se trouvait le mont Salva et ce qu’était venu faire
Nicétas en Toulousain.
Guilhem resta interloqué à ces paroles. La Divine
Providence se jouait-elle de lui ? Il s’apprêtait à partir à la recherche
du mont Salva et Sanceline, qui avait disparu de sa vie, venait lui dire que
son père savait où se trouvait ce lieu mystérieux.
Il aurait pourtant dû s’y attendre. Il savait
qu’Enguerrand cherchait l’endroit où Nicétas était allé, et surtout, il y avait
le songe. Ce rêve durant lequel il s’était vu escalader de hautes montagnes et
où il avait vu souffrir les âmes de ceux qu’il avait tués. Seulement, après que
les diables jaunes et noirs avaient enlevé Amicie, il avait aussi vu Sanceline
près de lui, livide et morte.
Et maintenant, elle était là. Il frissonna.
Était-ce le sort qui l’attendait ?
— Qu’avait appris ton père ?
demanda-t-il d’une voix blanche.
— Il a rencontré un Parfait présent à
Saint-Félix avec Nicétas. Ce diacre connaissait celui qui lui avait servi de
guide pour aller au mont Salva. Il lui a indiqué comment le trouver. Mon père
n’a pas voulu m’en dire plus.
— Sais-tu pourquoi Nicétas voulait aller
prier là-bas ?
— Mon père m’a dit que Nicétas y a trouvé la
preuve de la lutte entre le Bien et le Mal. Il voulait la connaître aussi.
Malgré le froid, Guilhem était en sueur. Il avait
l’impression d’avoir été choisi par quelque puissance invisible pour un dessein
qu’il ne maîtrisait pas.
— Sanceline, laisse-moi te raconter une
histoire…
Il lui parla des deux troubadours allemands, de
Wolfram qu'elle venait de voir, de leur quête, du Graal et de Perceval, de
l’émeraude et d’Alaric, et enfin de Montsalvat.
— Nous nous apprêtions à rechercher cet
endroit mystérieux. Je suis venu ici avec deux hommes d’armes. J’en garderai un
et l’autre rentrera à Lamaguère. Tu iras avec lui et tu m’attendras là-bas. Si
ton père est allé à Montsalvat, je le retrouverai, je te le promets.
— Non, Guilhem, c’est à moi de le retrouver.
J’accepte ton aide et je te serai éternellement reconnaissante, mais je reste
avec toi, dit-elle d’une voix ferme.
Guilhem ne protesta pas
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