Montségur, 1201
et chassa les
avertissements de son rêve. Que Sanceline veuille rester était, pour l’instant,
ce qu’il désirait le plus au monde. Il se savait capable d’éloigner d’elle les
plus effroyables dangers.
On gratta à la porte. C’était Wolfram d’Eschenbach
qui revenait.
En quelques mots, Guilhem lui expliqua qui était
Sanceline et ce que cherchait son père. L’Allemand fut aussi interloqué que
lui, mais il objecta très vite à la présence de la jeune femme.
— Nous chevaucherons sans cesse, jeune femme.
Nous dormirons dans les bois, sans confort ni chaleur. Notre vie sera rude, et
ce, pendant des semaines, sans compter les périls que nous pourrions affronter…
Elle l’interrompit :
— Quand j’ai fait le voyage de Paris à Albi,
Guilhem ne m’a jamais entendue me plaindre. J’ai chevauché des heures, casquée
et couverte d’une lourde cotte de mailles. Je parais frêle, mais je ne le suis
pas.
— Elle dit vrai, Wolfram. Elle ne nous gênera
pas, je te le promets. Mais elle ne pourra voyager habillée ainsi.
Sanceline portait une tunique de lin grossier avec
une simple aumônière brodée à la taille et une cape qu'elle avait tissée
elle-même.
— Les femmes sont toujours les femmes. Il
n’est homme si redoutable dont elles n’aient bien vite raison [48] ! plaisanta Eschenbach en
levant une main fataliste.
Il acceptait.
— Que vas-tu faire des affaires de
Conrad ? lui demanda Guilhem.
— Je les vendrai avant de partir. Je songeais
à en parler à l’intendant et au prévôt.
— J’achète son cheval et ses bagages. Nous
trouverons dedans de quoi équiper Sanceline.
Wolfram se mit à rire en regardant la jeune femme.
— Conrad était deux fois plus large qu’elle
et mesurait un pied de plus !
— Une cotte de mailles peut s’ajuster et
Sanceline est capable de recouper des vêtements à sa taille. Pour les armes, tu
peux les vendre, car elle ne se battra pas.
— Si c’est ta décision ! fit Wolfram, tu
peux prendre ce que tu veux dans les bagages de Conrad. Je vendrai le reste,
mais de toi, je ne veux pas d’argent. Quant à vous, jeune dame, ce sera pour
moi un plaisir de voyager avec une beauté à faire pâlir l’éclat de la déesse
Vénus.
Comme elle souriait à son compliment, il poursuivit
plus sérieusement :
— Si nous arrivons à Montsalvat, nous
retrouverons peut-être votre père. Mais ce que nous recherchons, le Graal, ou
la pierre luciférienne, sera autrement plus difficile à découvrir, car elle est
sûrement bien cachée. Je crains même qu'elle soit dissimulée sous de l’eau et
nous reste éternellement inaccessible.
— Près de l’endroit auquel je pense, il y a
une source magique et un lac. Ce pourrait être là. Mais pourquoi crois-tu
qu’elle puisse être sous de l’eau ?
— C’était un comportement des Goths. Ce
peuple dissimulait souvent ses trésors en les recouvrant d’eau. Sais-tu ce
qu’ils ont fait de leur roi Alaric ?
— Non.
— À sa mort, quelques mois après la prise de
Rome, ils décidèrent de l’inhumer avec une partie de ses trésors. Pour que
personne ne puisse piller sa tombe, ils firent travailler des milliers de
captifs à détourner une rivière [49] .
Après avoir construit son sépulcre, au milieu du lit de la rivière mis à sec,
ils y firent revenir les eaux. Et pour que l’endroit restât à jamais un secret,
ils massacrèrent tous les prisonniers qui avaient exécuté cet ouvrage.
— D’après le comte Dracul, Nicétas aurait vu
la pierre à Montsalvat, donc nous n’aurons peut-être pas à vider un lac,
plaisanta Guilhem.
— Si nous retrouvons mon père, il nous dira
ce qu’il a découvert. Et peut-être nous conduira-t-il directement à ce que vous
cherchez.
— C’est juste ! Tu vois, Wolfram, c’est
une bonne raison pour qu’elle nous accompagne, car son père parlera avec elle
en confiance.
Quelques artisans vivaient au château et autour de
la chapelle. Le plus important était le maréchal-ferrant, qui était aussi
charron. Mais il y avait aussi des métiers indispensables aux chevaliers :
un forgeron, qui faisait office de fourbisseur [50] et de heaumier, un sellier qui façonnait et réparait selles, bâts et harnais,
un escucier qui fabriquait des boucliers de bois et de cuir, et un haubergier
qui réparait et ajustait les cottes de mailles. Accompagné de Sanceline,
Guilhem apporta à ce dernier le haubert de Conrad. Le haubergier
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