Montségur et l'enigme cathare
les entablements supportent les échelles de bois dressées contre
le rocher. Les Cathares, retirant après eux les échelles, furent en un instant
inexpugnables dans l’obscurité de leur aire souterraine. L’ost catholique, qui
croyait les acculer dans l’impasse de la rotonde, y fut lui-même transpercé, écrasé,
foudroyé par un orage de flèches sifflantes, de rocs bondissants et de
hurlements sauvages, roulant de cette gueule sombre qui, selon les géologues, vomit
le torrent océanien. »
Le style épique de cette description est indéniable. Le malheur
veut que Napoléon Peyrat ne se prétend pas écrivain, mais historien. Il
continue ainsi : « Le sénéchal recula, ramassa ses morts, mura l’étroit
goulot oriental et scella les Cathares vainqueurs dans leur fort devenu leur
tombeau. Il campa quelques jours encore sur la bouche de la caverne, au-dessus
de l’Ariège, puis, quand il n’entendit plus rien remuer dans les entrailles de
la roche, pensant que tout était fini, il descendit tranquillement et s’en
revint à Toulouse. »
Tout cela semble d’une logique implacable. C’est en tout cas
un événement qui est dans le ton des luttes inexpiables de l’époque. Le
problème est que Napoléon Peyrat est le seul à raconter cette histoire et qu’il
n’en cite aucune source. Il se livre même à une description de l’agonie des
Cathares emmurés :
« Ils se soumirent doucement à leur sort et sourirent
tristement à leur tombeau. Frugivores, longs jeûneurs, s’imposant volontiers l’ endura qu’ils gardaient pour leurs dernières douleurs,
ils acceptèrent tranquillement ce supplice de la faim, leur suicide habituel et
religieux… Ils vécurent encore quelque temps : ils avaient des pots d’argile,
des amas de légumes dans les creux de rocher, et, non loin de là, un petit lac
d’eau pure. Mais un jour tout leur manqua… Alors ils se groupèrent selon leurs
familles… Pendant quelques instants, au-dessus du pieux murmure des prières, s’entendit
encore la voix du ministre cathare, confessant la Parole qui était en Dieu et
qui était Dieu. Le fidèle diacre donna aux mourants le baiser de paix et s’endormit
à son tour. Tous reposaient dans le sommeil et les gouttes d’eau qui tombaient
lentement des voûtes troublèrent seules le silence sépulcral pendant des
siècles. »
Voilà qui forme assurément un excellent reportage. Mais Napoléon
Peyrat craint sans doute qu’on n’accorde pas foi à son récit. Et comme il ne
cite aucun document contemporain pour appuyer ses dires, il va passer tout de
suite à l’époque des Huguenots : « Jacques de Castelverdun était
seigneur d’Ornolac et de sa grotte sinistre, scellée depuis deux siècles et
demi. Le temps, à cette époque, rouvrit ce grand ossuaire albigeois. Les
protestants qui peut-être se cherchaient des ancêtres dans les antres des
montagnes, conduits par de vagues et tragiques souvenirs, pénétrèrent dans ces
cryptes funéraires. Ils entrent, ils arrivent à l’oratoire de Loup de Foix, montent par les échelles encore dressées à la grotte
supérieure, et découvrent, ô prodige effrayant ! tout un peuple endormi et
couché, presque pétrifié lui-même comme dans des cercueils de pierre. » On
remarquera que Napoléon Peyrat ne s’est plus souvenu des détails qu’il avait si
bien décrits auparavant : les échelles que les Cathares avaient retirées
avant d’être murés dans leur antre, sont maintenant encore
dressées , ce qui est pour le moins surprenant. Cela dit, il est tout à
fait possible que des protestants aient pénétré, pendant les guerres de
Religion, dans la grotte de Lombrives, non pas pour se trouver des ancêtres
hypothétiques, mais simplement pour s’y cacher. Et s’ils avaient forcé l’entrée
de la caverne centrale, ils auraient fatalement découvert des ossements, puisqu’il
y en avait depuis la Préhistoire. Mais on ne possède aucun document sur une
telle découverte au XVI e siècle, et
Napoléon Peyrat ne cite évidemment pas ses sources.
Il y a mieux. Cette évocation de la découverte des
squelettes des martyrs cathares par les protestants se termine par une vision
fantastique : « La montagne, qui pleurait ses enfants depuis trois
siècles, leur avait construit, de ses larmes congelées, des tombes de
stalagmites. Bien plus, elle leur avait élevé comme un monument triomphal et
transformé l’affreuse caverne en une basilique merveilleusement
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