Morgennes
où Templiers et Hospitaliers avaient leurs quartiers : les Assassins. Pour ces deux Templiers, il n’existait pas d’individus si pauvres ou si puissants qu’ils ne puissent en soustraire quelques deniers, à verser dans les caisses du Temple – ou du royaume, dans le cas présent.
Mais ceci est un autre sujet, et il me faut revenir à Morgennes. En cet instant précis, il s’était enveloppé le corps dans un grand manteau gris, et guettait depuis une terrasse les allées et venues de Chawar. Le comportement du vizir l’intriguait. Obséquieux, abondant sans arrêt dans le sens des deux Templiers, Morgennes le soupçonnait de ne pas jouer franc jeu. Afin de le percer à jour, il le suivait depuis plus d’une semaine. Sans aucun résultat. Lorsqu’un certain dimanche soir, Chawar alla se promener du côté de Fostat, non loin du quartier copte. Sa démarche était hésitante, et il décrivit mille et une circonvolutions dans les ruelles tout en courbes de la vieille ville, avant de se glisser dans une sordide demeure aux murs lépreux – où Morgennes pénétra à sa suite.
Morgennes l’ignorait, mais le bâtiment où Chawar venait de disparaître était en fait un temple voué à une très ancienne divinité appelée Apopis. Seuls les initiés avaient le droit d’y entrer. Après s’être agenouillés, afin de témoigner de leur humilité, ils descendaient un long et étroit corridor gardé par des serpents de pierre. La légende racontait que ces statues avaient le pouvoir de s’animer pour frapper les intrus.
Mais Morgennes ignorait cette légende, tout comme il ignorait que les anciens adeptes d’Apopis avaient « mué » pour céder la place aux ophites.
Leur origine remontait au II e siècle après Jésus-Christ, à l’époque où de très nombreuses sectes s’étaient mises à grouiller sur la dépouille encore tiède du Christ. Aussitôt condamnés par les Pères de l’Église, combattus par des personnalités aussi éminentes qu’Épiphane, Hippolyte ou Irénée – qui par la suite devaient être canonisés pour services rendus à la chrétienté –, les ophites n’en avaient pas moins proliféré. Même le grand Origène les avait dénoncés, écrivant : « Les ophites ne sont pas chrétiens, ils sont les plus grands adversaires du Christ. »
Particulièrement actifs en Égypte, les ophites avaient été contraints, pour ne pas être exterminés, de faire profil bas. Ils avaient calqué leur comportement sur ceux dont ils se réclamaient : les chrétiens des premiers temps, et les serpents. Et c’est ainsi qu’ils avaient quitté la surface de la terre pour aller se réfugier dans les catacombes, oubliant jusqu’au nom du soleil.
Creusant au fil des siècles un important réseau de grottes, caves et cavernes reliées entre elles par de nombreux souterrains, les ophites avaient pratiqué leur religion loin du regard des autorités religieuses, romaines et byzantines. Mieux, après l’invasion de l’Égypte en 639 par les musulmans, ils avaient accompli l’exploit de continuer à exister. D’une part, parce que leurs nouveaux maîtres les avaient confondus avec les coptes ; d’autre part, parce qu’ils n’avaient jamais cessé de se cacher, dans l’attente du jour où ils pourraient enfin se révéler.
Or, ce jour-là – le Jour du Serpent – approchait.
D’après des calculs astrologiques établis dès l’Antiquité par les fondateurs de la secte, le jour où la « Tête » et la « Queue » du Serpent se rencontreraient, le monde serait obligé de reconnaître la suprématie des « Fils du Serpent » (c’est-à-dire des ophites), et donc de se plier à leur loi.
Selon la tradition, la « Tête » n’était autre qu’une étoile, celle du matin. Au fil des siècles, cette étoile, baptisée « Lucifer », avait été tour à tour assimilée au roi de Babylone, au Christ, à Fostat et au Caire, puis à Satan lui-même.
Quant à la « Queue », ce devait être une comète. Son passage contraindrait l’étoile du matin à dévier de sa route, et à se rapprocher dangereusement de notre planète… Une pluie de serpents s’abattrait sur la terre, menaçant d’y éteindre la vie. C’est alors que les ophites sortiraient de leurs tanières, et proposeraient au monde entier de le sauver, en échange du pouvoir.
Alors qu’il se trouvait sur une estrade environnée par des momies de crocodiles, Chawar souleva un immense boa au-dessus de sa
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