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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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Si ce pont avait existé, ils auraient pu passer. Et se retrouver sains et saufs avec moi, sur l’autre rive.
    — Mais, Morgennes, si ce pont avait existé, les cavaliers eux aussi l’auraient traversé, et vous seriez tous morts ! En vérité, je vous le dis, Dieu a voulu que vous seul surviviez.
    — Dieu l’a voulu ?
    Je hochai la tête avec componction, mains jointes sur le ventre, comme on m’avait appris à le faire en ces circonstances.
    — Alors c’est lui qui est responsable de ce drame ? me demanda-t-il.
    Je ne sus quoi lui répondre.
    Il se troubla, me regarda sans me voir. Sa main serra la croix de bronze qu’il avait gardée avec lui, et qu’il ne lâcherait pour rien au monde.
    — Mais pourquoi ?
    — Les voies du Seigneur sont impénétrables.
    — Il doit y avoir une explication !
    — Je n’ai pas dit qu’il n’y en avait pas, seulement qu’elle ne nous était pas accessible.
    Il s’éloigna, revint sur ses pas, semblant chercher son chemin, repartit… Il jeta un coup d’œil à deux bâtisses en ruine, dont l’une était certainement une forge, à en juger par l’enclume rouillée qui gisait fichée en terre. Morgennes la toucha, et se mit à pleurer en silence.
    — Même maman n’est plus là…
    Ainsi, c’était bien lui. Pas de doute. Il était l’enfant de cette femme que mon père était venu aider à accoucher, par une longue nuit d’hiver, une quinzaine d’années auparavant. L’émotion m’étreignit. J’avais le devoir de veiller sur Morgennes. Ce que mon père avait commencé, je devais le poursuivre.
    Je m’approchai de lui et lui posai la main sur l’épaule. Que pouvais-je lui dire, moi qui avais passé tant d’années à me fuir ? J’étais l’opposé de Morgennes. Dieu me faisait peur. Trouverais-je les mots ? « Parle-lui de ton père ! » me murmura une voix. Mais non. Jamais. Car comment annoncer à Morgennes : « Je suis le fils de celui qui a échoué à vous sauver… » Impossible. Je devais trouver autre chose. Après m’être raclé la gorge, je murmurai :
    — Moi aussi j’ai échoué.
    — À quoi ?
    J’hésitai un instant, puis j’avouai :
    — Je ne voulais pas vraiment être curé… Je suis conteur. J’ai longtemps cru que j’étais le meilleur… Mais je ne le suis pas.
    — Pas encore, me dit Morgennes.
    — Je vais vous dire pourquoi Galline est si spéciale pour moi, dis-je en lui montrant ma petite poule. Je l’ai gagnée à un concours. Tous les quatre ans se tient à Arras une fête appelée « Puy », où troubadours et trouvères s’affrontent en rimant…
    Je lui racontai mon histoire, et la façon dont j’avais réussi à captiver mon auditoire. Mon Histoire du roi Marc et d’Yseut la blonde était assurément une splendeur, et je savourais par avance ma victoire. Lorsque Gautier d’Arras était entré en scène… Il avait entrepris de réciter les premiers vers de son œuvre, Éracle, où il était question de l’empereur Héraclius et de la glorieuse manière dont il était parvenu à récupérer la Vraie Croix – volée par des païens, à Jérusalem.
    La foule avait adoré.
    Le succès avait été tel qu’on l’avait arrosé de vin, au point que ceux qui l’approchaient s’enivraient de vapeurs ! On lui avait donné le premier prix. Celui-ci consistait en un hébergement de quatre années à la cour de Marie de Champagne, où il aurait tout le loisir de finir son ouvrage, sans avoir à se soucier de rien.
    — Quel rapport avec Galline ? me demanda Morgennes.
    — C’était le deuxième prix. J’entends encore Marie de Champagne me dire, en me la remettant : « Ses œufs vous nourriront le corps et l’âme… » Jusqu’à présent, c’est surtout mon corps qu’elle a nourri…
    — Et aussi un peu le mien, fit Morgennes en se tournant vers Galline. En tout cas, moi, je la trouve appétissante, pour un deuxième prix !
    — Ç’aurait pu être pire. Le troisième prix n’était qu’un panier d’œufs…
    — Quand a lieu le prochain concours ?
    — Dans un peu moins de quatre ans.
    — Cette fois vous gagnerez ! Foi de moi !
    Deux jours plus tard, nous arrivâmes à Saint-Pierre de Beauvais, où l’on ne chômait pas. Les cloches sonnaient matines, et les premières lueurs de l’aube venaient caresser les blés qui faisaient à l’église une auréole d’épis.
    Poucet, le père supérieur, nous reçut peu après notre arrivée, et nous allâmes

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