Morgennes
poignée d’hommes le rejoignit, parmi lesquels Amaury fut ravi d’apercevoir Alexis de Beaujeu.
— Quelle b-b-bonne surprise ! s’exclama-t-il.
— Majesté, justement, je vous cherchais pour vous dire…
— Ce n’est p-p-pas le moment ! Il faut sauver la flotte…
Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase qu’une poutre enflammée s’abattait entre Alexis et le cheval d’Amaury. Ils ne durent d’avoir la vie sauve qu’à leurs excellents réflexes, qui les firent, pour l’un, se jeter en arrière, et pour l’autre, se cabrer. Une fumée noire s’éleva du navire, qui craqua de toutes parts.
— Sabordons-le ! cria Alexis.
— Non, fit Amaury. C’est trop tard.
Suivis par quelques braves, les deux hommes passèrent sur le pont du navire jouxtant le leur afin d’en rompre les amarres et de l’envoyer par le fond. Pour ce faire, ils descendirent dans les cales, et donnèrent de violents coups de hache, d’épée et de lance dans la coque du navire, en espérant le faire sombrer. Par chance, les dromons étant des sortes de galères à coque plate, bâties pour la navigation côtière – ou fluviale – plutôt que pour la haute mer, elles n’étaient pas trop difficiles à saborder.
Un premier navire fut ainsi envoyé rendre visite aux crabes, sans avoir eu le temps d’enflammer son voisin. C’était une première victoire. Mais il en faudrait beaucoup, beaucoup d’autres pour espérer sauver ne fût-ce que le dixième de la flotte byzantine. Alexis et Amaury avaient l’impression de lutter contre la peste. Comme ils n’avaient aucune idée de la façon dont l’incendie se propageait aux différents navires, ils se contentaient d’essayer d’en sauver un maximum – ce qui les amenait à s’approcher dangereusement des murailles de Damiette, où des serveurs pointaient des balistes dans leur direction. Deux dards filèrent. Le premier se ficha non loin d’eux, dans un banc de rameurs, l’autre se perdit dans les eaux du port.
« Quelle guerre étrange », se dit Amaury en observant les dromons. « Heureusement que ce n’étaient pas de vrais dragons, car la défaite eût vraiment été trop humiliante… »
Il y avait tant de fumée qu’Amaury et Alexis n’y voyaient pas plus loin que le bout de leur nez, et qu’ils devaient constamment garder une main libre pour tenir devant leur visage un morceau de tissu imbibé d’eau. Amaury frappait à grands coups redoublés sur les coques des bateaux où ils avaient pris pied, ordonnant à Alexis et à ses hommes de couper les cordages reliant les nefs entre elles, et d’en jeter les passerelles à la mer. Dès que le navire sur lequel ils étaient commençait à couler, Amaury s’assurait que sa petite équipe était passée saine et sauve sur le bateau le plus proche. Ensuite, il remontait sur Passelande et le faisait reculer de quelques pas afin de prendre assez d’élan pour sauter sur la nef voisine. Combien de fois manquèrent-ils de mourir, cernés par les flammes ou transpercés par un projectile ? Nul ne le sait. Ce qui est certain, c’est qu’Amaury et Alexis de Beaujeu firent plus que contribuer à aider Coloman et Kunar Sell à protéger la flotte byzantine. Les relations entre le puissant Empire et le petit royaume franc de Jérusalem, qui menaçaient de s’envenimer, furent sauvées grâce à eux.
Nous étions à la fin de l’automne de l’an de l’incarnation de Notre-Seigneur 1169, et la bataille était finie sans avoir réellement commencé. Damiette avait été sauvée grâce à un courageux gamin : Taqi ad-Din.
Amaury regagna son campement à la nuit tombée, seulement accompagné d’Alexis de Beaujeu et d’un autre soldat. Tous les autres membres de leur petite équipe étaient morts. Eux-mêmes étaient fourbus, meurtris, brûlés. Passelande avait le crin roussi. Quand il l’eut confié à un valet, Amaury tourna les yeux vers le Nil, où des navires achevaient de se consumer tandis que d’autres dressaient dans le lointain leurs voiles de rescapés. Ils s’en repartaient vers Constantinople.
— Grâce à vous, Majesté, dit Guillaume à Amaury en s’approchant de lui, l’échec n’a pas été total.
Mais Amaury ne lui répondit pas. Il pleurait. Pour lui, les coques incendiées des dromons byzantins figuraient les longs corps de dragons à l’agonie, qui ne trouveraient la paix que dans les fonds marins.
58.
« Il entendait bien une voix l’appeler, mais il ne
Weitere Kostenlose Bücher