Mort à Devil's Acre
aussitôt, redevint
grave.
— Lui ? Ce minable était pédéraste.
Charlotte laissa encore une minute s’écouler.
— Oh… murmura-t-elle.
— Quant à Bertie Astley, il était propriétaire de toute
une rangée de maisons dans Devil’s Acre. Il louait des logements, des ateliers,
un bar clandestin. Voilà, vous savez tout. Il n’y a rien que vous puissiez
faire.
Charlotte tenta de se représenter Pomeroy. Comment un homme
pouvait-il éprouver du désir pour de petits êtres qui, à cet âge-là, ne
réclament que la présence chaleureuse et sécurisante des adultes ? La
réponse était évidente : ils ne lui demandaient rien, ne montraient aucun
appétit, ne le critiquaient pas et, surtout, ne se moquaient pas de lui s’il se
montrait malhabile ou impuissant.
Pauvres petits, redoutant chaque soir l’arrivée du client
qui allait violer l’intimité de leur corps avec des gestes étranges, jusqu’à
atteindre un degré d’excitation qui culminerait dans un acte violent qu’ils ne
comprenaient pas et auquel ils ne participaient pas. Prise d’une nausée
soudaine, Charlotte frissonna, en dépit de la chaleur du feu, et se pelotonna
sur elle-même, comme pour se protéger d’une menace.
Pitt avait rouvert les yeux et la fixait de son regard clair.
— N’y pensez plus, dit-il avec douceur. Pomeroy est
mort. Et vous ne parviendrez pas à faire cesser ce genre de pratiques.
— Je le sais, Thomas.
— Alors, n’y pensez plus.
C’était plus facile à dire qu’à faire. Ces images terribles
obsédaient Charlotte. Aussi, le lendemain matin, dès le départ de Pitt, elle
donna ses instructions à Gracie, enfila un manteau bien chaud et alla prendre
un omnibus qui la déposa non loin de Paragon Walk.
— Alors ? Du nouveau ? s’enquit Emily, dès
que sa sœur eut franchi la porte.
Charlotte lui raconta ce qui s’était passé depuis sa
dernière visite. Emily ignorait que Pitt s’était fait agresser.
— Mon Dieu ! Mais c’est affreux ! Comment
va-t-il ? Avez-vous besoin de quelque chose ?
— Non, merci. Quoique…
C’était une proposition trop rare pour être déclinée !
— Je veux bien une bouteille de bon porto, si tu en as…
— Du porto ?
— Oui, c’est un excellent remontant, surtout par ce
froid.
— Drôle d’idée ! Tu ne préfères pas du sherry ?
Emily, qui aimait bien Pitt, se sentait d’humeur généreuse.
— Non, merci. Le porto sera le bienvenu. Mais si tu
veux m’en offrir deux bouteilles, je ne dis pas non.
— Où en est l’enquête ? Thomas a-t-il reconnu son
agresseur ? C’était peut-être le tueur de Devil’s Acre !
— Non. Il pense avoir été attaqué par des voleurs. Mais
il a tout de même appris beaucoup de choses…
Elle lui expliqua les raisons qui avaient amené Pinchin et
Pomeroy à Devil’s Acre.
Emily demeura longtemps silencieuse.
— Cela explique peut-être pourquoi Adela Pomeroy
cherchait des amants dans des milieux peu recommandables, dit-elle enfin. Pauvre
femme… Enfin, les vices d’un époux ne justifient tout de même pas d’aller se
jeter dans les bras de Max !
— Es-tu sûre de ce que tu avances à propos d’Adela
Pomeroy ? s’enquit Charlotte, qui regretta aussitôt d’avoir posé la
question, car elle craignait d’entendre la réponse. Même si elle l’a fait, cela
ne veut pas dire que cela ait un rapport avec Max !
— Non, en effet. Mais je ne parle pas à la légère !
Je me suis donné un mal fou pour obtenir des renseignements sur les femmes de
la bonne société qui évoluent dans ce milieu.
— Emily ! Tu n’es pas allée…
— Voyons, ne dis pas de bêtises ! Tiens, à propos
de bêtises… si nous parlions un peu de toi et du général Balantyne ? Ton
attitude à son égard est complètement irresponsable ! Même pour les
besoins de l’enquête ! Tu te permets de critiquer – à juste titre, d’ailleurs
– le comportement de Christina, mais la seule différence entre vous deux est
que toi, tu accordes tes faveurs à un seul homme. Et cela n’arrange rien !
Je dirais même que s’agissant des catastrophes qui pourraient en résulter, c’est
bien pire !
Charlotte rougit. Elle se sentait si honteuse qu’elle n’osait
regarder sa sœur en face. Lorsque l’on se sait en tort, se l’entendre rappeler
est d’autant plus pénible.
— Je ne l’ai pas fait exprès, se défendit-elle.
— Ne raconte pas d’histoires ! Tu avais
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