Mort d'une duchesse
adressée à son autorité, le duc parut s’éveiller.
L’habitude du pouvoir lui revenait.
— Cet enfant sera désormais placé sous votre garde. Nous
examinerons plus tard s’il est coupable ou innocent. Sigismondo…
Il désigna le corps de son frère.
— Portez-le dehors et montrez-le au peuple. Nous-même
paraîtrons sous peu au balcon de la cathédrale. Dès que ce désordre sera apaisé,
nous procéderons à une enquête sur cette dramatique affaire.
Ippolyto aida Violante à éloigner son cousin. Un page en
jaune et bleu ardoise s’avança, tout tremblant, pour proposer son bras au jeune
garçon. Les deux ducs et le cardinal s’éloignèrent en direction de l’escalier
de la tourelle pendant que Sigismondo soulevait le corps de Paolo. Tebaldo, le
visage désespéré, jeta un dernier regard à son père. On laissa les prêtres
replacer la dépouille de la duchesse dans le catafalque et la préparer avant de
la transporter au plus vite à la chapelle du palais pour lui faire quitter ces
lieux désormais impurs ; enfin un vieux prêtre, ceint d’un large tablier
et portant un seau et une serpillière, vint nettoyer les horribles taches.
CHAPITRE XXII
« Après le diable, le mort »
— Mon Dieu, que se passe-t-il ? s’exclama Cosima.
La foule grondait. Elle reprenait en chœur le cri, parti de
la périphérie de la place et des ruelles adjacentes, par lequel elle avait
répondu à l’intervention de Paolo : « Duca ! Duca ! Lu-do-vi-co ! »
— Pourquoi hurlent-ils le nom du duc ? s’enquit dame
Donati. Voudraient-ils le tuer ?
— Après qui courait Sigismondo ? demanda Leandro. De
quel côté est-il ? Je croyais qu’il était l’agent du duc.
D’abord désorientée, la foule s’était mise à scander avec
vigueur le nom de Ludovico. Elle avait envahi les marches de la cathédrale et
se pressait devant sa porte fermée.
— Benno, penche-toi au coin, là-bas, et jette un coup d’œil
dans la ruelle. N’était-ce pas Barley chevauchant ce rouan ?
— C’est Barley, confirma Benno.
Biondello, qui n’avait guère apprécié de se retrouver soudain
en surplomb de la rue, enfouit son museau dans les plis de la chemise de Benno.
Leandro fixa son attention sur les façades indifférentes du
palais et de la cathédrale derrière lesquelles se jouait son destin. Il imagina
que Sigismondo échouait, que lui-même était pourchassé. Il s’aperçut qu’il
serrait trop fort la main de Cosima, et lorsqu’il s’en excusa, ils restèrent un
long moment à se regarder.
Un tourbillon de pensées étourdit Leandro. « Cosima Di
Torre… Sigismondo dit que le motif de la querelle est artificiel… elle est
adorable, elle est courageuse… je l’ai épousée dans ma cellule… mais c’est un
faux mariage… danger… mariage… Qu’allons-nous devenir ?
Que fait donc Sigismondo ? »
— Oh ! s’exclama Cosima. Regardez !
Les trompettes pointaient vers le ciel, les dignitaires paraissaient
au balcon de la cathédrale : le duc – affreusement pâle, même vu d’ici
–, le cardinal à côté de lui, le duc Ippolyto et une foule d’ecclésiastiques.
Une file d’hommes en vert et blanc garnirent le balcon du
palais. Deux d’entre eux remirent en place les chaises et les bancs en désordre,
puis rejoignirent la rangée de leurs compagnons. Le brouhaha de la foule s’apaisa
dans l’attente d’un événement et Sigismondo, à nouveau masqué, apparut sur le
seuil du palais, portant le corps de Paolo. La foule parut retenir son souffle.
Sigismondo traversa le balcon en direction de l’échafaud et déposa le cadavre
sur la paille. Il adressa d’en haut un signe de tête aux tambours qui, après
quelques cafouillages dus à cette longue attente, firent bientôt entendre leur
rythme sec et régulier. Angelo parut et s’avança, portant à deux mains la longue
hache. La foule bruissait de sentiments contraires, mais les protestations
étaient noyées sous le roulement des tambours.
Sigismondo s’empara de la hache, la leva et l’abattit avant
que quiconque ait réalisé ce qu’il faisait. Puis il se pencha et, lorsqu’il se
releva, les tambours se turent.
Sa main gauche tenait par les cheveux la tête de Paolo et la
voix du faux bourreau résonna, si forte et déterminée qu’elle parvint très
clairement aux occupants de la loggia :
— Voyez la tête d’un traître !
La réaction de la foule fut mitigée, mais, venu de la
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