Mort d'une duchesse
absent. L’Homme sauvage résolut le problème en se
jetant à genoux devant le duc, à qui il rendit humble hommage, mettant face
contre terre avant de solliciter son pardon en tendant vers lui ses mains
velues. Avec un sourire, le duc lui fit signe de se relever, et la créature se
remit debout d’un bond, tira sur son collier et l’arracha d’un air triomphal. Les
nains, qui faisaient toujours mine de tirer sur les chaînes pour le maîtriser, partirent
soudain à la renverse. Une des deux rangées parvint à ménager l’effet de
dominos, mais l’autre échoua et les nains s’effondrèrent de manière désordonnée
avec des hurlements stridents. À force de rire, l’un des convives rendit une
partie de son repas dans son assiette.
À présent libre, l’Homme sauvage, accroupi, promenait son
regard autour de lui. Comme il faisait semblant de se précipiter dans telle ou
telle direction, les nains devant lui se relevaient et s’enfuyaient en lâchant
fouets, chapeaux et bouts de chaîne, se réfugiaient auprès des serviteurs, derrière
les rideaux ou sous les tables, où ils causèrent grand désordre parmi les jupes
des dames.
L’Homme sauvage, censé entendre pour la première fois de la
musique, mit sa patte en coupe derrière son oreille. Les nains se turent, les
convives firent silence.
La harpe égrenait ses notes ondulantes, le clavecin charmait
par les plus suaves des sons. Les gestes du sauvage s’adoucirent. Voyant les
nains réapparaître et se mettre à danser, il se livra à des efforts d’abord maladroits
pour les imiter, puis prit peu à peu confiance et se mit à bondir de-ci, de-là.
Dans sa danse joyeuse il parut soudain remarquer la présence de la duchesse. Comme
aveuglé, il porta les mains devant ses yeux, puis, d’un bond d’une
extraordinaire agilité, sauta sur la table, au beau milieu des coupes et des plats.
De peur, ou froissée que la tête du sauvage soit tournée vers la duchesse et
non vers elle, dame Cecilia poussa un tel hurlement qu’on l’entendit par-dessus
la clameur redoublée des nains.
La duchesse, au contraire, applaudit, et l’Homme sauvage se
mit à faire des courbettes parmi la vaisselle avec grande habileté, sans rien
renverser, au rythme de la musique. Les nains, rassurés de voir qu’il était apprivoisé,
s’approchèrent pour le regarder. S’inclinant bas devant la duchesse et penchant
la tête de côté avec un sourire pensif, l’Homme sauvage tira de son costume un
cœur de satin rouge qu’il lui présenta. La duchesse l’accepta avec un sourire
amusé, mais, hélas, alors que le sauvage sautait de joie, son pied gainé de fourrure
envoya valdinguer le gobelet de vin de la duchesse. Du vin se répandit sur la
nappe et sur le brocart d’argent de la dame. L’assistance retint son souffle, le
harpiste cessa de jouer ; la duchesse s’était levée.
Tous les convives, bien entendu, se levèrent à leur tour, un
banc se renversa et les intendants se précipitèrent avec leur bâton en
direction du sauvage.
Celui-ci, qui avait déjà bondi au bas de la table, se faisait
tout petit et poussait des hurlements, les bras au-dessus de la tête. On
entendit la duchesse dire aux intendants de ne pas battre le pauvre sauvage, et
disant cela elle riait. Elle demanda aux convives de se rasseoir, et un long
bruissement de tissu parcourut la salle à la suite de cet ordre. Elle glissa
quelques mots au duc et à dame Cecilia, puis se retira. Elle ne désirait pas ce
soir que la mariée l’aide à changer de robe.
L’Homme sauvage s’enfuit de la salle du banquet en poussant des
hurlements désespérés, poursuivi par les nains qui, ravis de cette
improvisation, lui jetaient leurs chapeaux et leurs fouets. La musique reprit, des
serveurs s’empressèrent d’éponger le vin et de mettre une nappe propre devant
le siège de la duchesse, son gobelet fut essuyé, remis en place et rempli. Des
jongleurs apparurent. Le seigneur Paolo, après avoir échangé quelques mots avec
le duc, se pencha vers son fils maintenu sur sa chaise par des coussins et, déclinant
l’aide des serviteurs, le prit dans ses bras. Dame Violante, qui voulait savoir
si son cousin allait bien, fut rassurée en voyant le garçon lui sourire. On
emporta le jeune handicapé au milieu d’un murmure général de compassion et d’admiration
pour un père aussi attentif.
L’une des voisines de Sigismondo se lança dans une tirade
larmoyante à ce sujet.
Les jongleurs furent
Weitere Kostenlose Bücher