Mort d'une duchesse
neige comme une caresse supplémentaire, un avant-goût de ce qui les
attendait dans les collines vers lesquelles ils se dirigeaient.
Benno endurait le voyage avec sa philosophie habituelle. Il
avait l’estomac plus plein que lorsqu’il se nourrissait dans les cuisines de
Jacopo Di Torre, leurs sacoches étaient garnies de nourriture et de vin, sans oublier
la colombe qui faisandait joliment ; le cheval qu’il montait était un
solide animal provenant des écuries du duc, meilleur que tous ceux qu’il avait
eus lorsqu’il était employé chez Di Torre. Sa seule contrainte était de se
taire pendant que son maître réfléchissait, obligation que le vent violent l’aidait
à respecter pour l’instant. L’unique douleur de son existence était le souci qu’il
se faisait pour dame Cosima ; Sigismondo lui avait assuré qu’il était dans
l’intérêt de celui qui la détenait d’assurer son bien-être, et il était tout disposé
à le croire, mais cela ne l’empêchait pas de se ronger les sangs ; pour se
distraire, il se remémora les mets qu’il avait dégustés la veille au soir, les
savourant une nouvelle fois en esprit, sans prêter beaucoup d’attention au
chemin qu’ils suivaient à travers les champs dénudés. Au fond, il était certain
que son maître retrouverait dame Cosima ; et que Dieu la protégerait.
Altosta, qu’ils découvrirent du sommet d’une colline où
leurs chevaux dérapèrent plusieurs fois sur les larges affleurements rocheux
poudrés de neige, ne ressemblait guère à un village. On avait plutôt l’impression
de contempler un amoncellement de ruines qui auraient été bombardées de nids d’oiseaux.
Des toits faits de branchages, de mottes de gazon, de paille, de tout ce qui
pouvait protéger des intempéries, et qui était maintenu en place par de lourdes
pierres, se dressaient au ras du sol et retenaient la neige comme une couche de
chaleur supplémentaire. Des huttes étaient perchées sur d’invraisemblables
raidillons, ou serrées parmi les rochers comme pour se cacher, tandis que l’espace
entre elles était sillonné d’ornières de charrettes ou encombré de tas de
fumier gelé.
Une rafale de vent leur apporta le sonore braiment d’un âne
surgi d’une étable délabrée. Aucun signe de présence humaine, à part la fumée
qui s’élevait comme à contrecœur de plusieurs cabanes. Quelque part dans la tête
de Benno s’était pourtant forgée la conviction que leur arrivée n’était pas
passée inaperçue.
Son maître était descendu de cheval et se tenait immobile, à
ce point sinistre dans son manteau noir que, songea Benno, on n’aurait pu
reprocher à quiconque de penser qu’il transportait une faux à sa selle, et que
la Mort était là. Il descendit de son propre cheval, trébucha sur ses jambes
grelottantes et, confiant, attendit.
C’est un chien qui, au bout du compte, vint les accueillir, un
petit chien dont les côtes saillaient sous le pelage sale, qui portait
fièrement dressée son unique oreille, et dont la queue battait les flancs
tandis qu’il l’agitait avec une vigueur extatique pour leur souhaiter la
bienvenue. Benno pensa aussitôt au Biondello bien-aimé de sa maîtresse, mais, depuis
une semaine, celui-ci n’avait pas vu d’autre nourriture que ses propres puces. Il
approcha de Sigismondo comme un saint va à la rencontre de la mort, avec joie
et confiance.
Il reçut une récompense toute terrestre sous la forme d’un
morceau de saucisse puisé dans une des sacoches de selle, et qu’il avala d’un
coup.
— J’aurais cru qu’il en viendrait plus, remarqua Benno
en observant la scène. Dans ce genre de village, on lâche les chiens sur les
étrangers.
Le cabot se tenait maintenant devant Sigismondo, museau à
terre et croupe en l’air, l’agitation frénétique de sa queue menaçant de lui
faire perdre l’équilibre.
— Peut-être qu’ils n’ont pas vu assez d’étrangers, répliqua
Sigismondo, ou alors c’est qu’ils ont mangé les chiens.
Qu’il fût ou non le dernier en vie, ce chien-là était heureux
de vivre. D’un geste de la main, Sigismondo empêcha Benno de lui donner plus à
manger.
— Tu veux le tuer ? Son estomac doit d’abord réapprendre
ce qu’est la nourriture.
La saucisse fit apparaître l’enfant. Emmailloté de la tête
aux pieds dans des hardes crasseuses, il s’avança vers eux et s’arrêta à côté
du chien, devant Sigismondo qu’il regarda avec à peu près la
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