Mort d'une duchesse
s’appropriait avaient été
bénites et que c’était sans doute pécher que de les porter. À présent, mère
Luca ne ressemblait plus du tout à une nonne, et plus elle retrouvait son
aspect séculier, moins on avait de mal à croire qu’il s’agissait bien d’une
Bandini.
— Tourne-toi.
Telle une marionnette, Cosima pivota sur elle-même, sentit
qu’on la coiffait du bonnet et qu’on lui mettait les cordons entre les mains
pour qu’elle les noue. Sa cousine était en train de déchirer ses jupons en
bandelettes pour ligoter mère Luca – la Bandini – et l’attacher aux
montants du lit. Elle lui remonta ensuite la couverture jusqu’au nez pour
dissimuler le bâillon.
Puis cousine Caterina se tourna vers Cosima, s’empara des
cordons du bonnet que celle-ci tripotait avec maladresse, les noua d’un geste
professionnel et les glissa sous le bord ; elle mit ensuite en place le
tissu de la guimpe et l’épingla, coiffa le tout du voile, qu’elle épingla
également – les épingles serrées entre les lèvres comme une vraie
camériste – puis entraîna sa jeune cousine jusqu’à la porte. Cosima se
retourna pour jeter un dernier regard à la chambre. Une autre Cosima gisait sur
la paillasse, dont on ne voyait que les yeux clos et la peau sombre du crâne
rasé.
— Je t’avais préparé des vêtements, mais ceux-ci conviendront
mieux.
Cosima n’avait pas encore recouvré toutes ses forces, et c’est
dans un état d’hébétude qu’elle suivit cousine Caterina à travers une vaste
salle, puis à l’extérieur. Là, elle eut besoin d’aide. Cousine Caterina fit mine
de s’appuyer sur elle afin de donner l’impression que c’était sa jeune compagne
déguisée en nonne qui l’aidait elle, la vieille malade ! Après avoir
traversé les trois cents mètres que mesurait la cour, elles atteignirent enfin
les écuries. Elles y trouvèrent Benno, qui s’inclina pour baiser la main de Cosima,
et que cousine Caterina houspilla pour qu’il se hâte. Il y avait un chien que, l’espace
d’un instant, elle prit pour Biondello. Il y avait des chevaux.
Ils furent dans la campagne, chevauchant à travers la lande
et s’enfonçant sous les arbres. Cousine Caterina serrait Cosima contre elle d’une
poigne de fer. Il lui était impossible d’avoir les idées claires ni stables, mais
elle ne pouvait oublier le visage ravi de Benno tourné vers elle. L’été à la
villa, libre, chevauchant avec ce cher Benno tout crasseux…
Ils étaient sur une route. Elle revoyait la campagne.
Blottie contre cousine Caterina, elle baissa les yeux vers
la main qui tenait les rênes. Celle-ci était large, musclée, poilue sur le
dessus, ça ne pouvait être qu’une main masculine.
Cosima se redressa d’un seul coup, le cheval eut une embardée
qui fit osciller la tête de la cavalière. Elle regarda cousine Caterina, qui
lui sourit. Elle examina avec attention ce visage, dans la lumière de midi, forte
et claire après la pénombre de sa cellule.
— Qui êtes-vous ? s’enquit-elle.
Les vieilles femmes peuvent parfois avoir du duvet, ou même
des poils sur le visage, mais leur peau n’a jamais cet aspect lisse d’après le
rasage. Elles ont parfois des cils épais et une bouche charnue, oui, certes, mais
pas un nez aussi fort. Les yeux sombres se tournèrent vers Benno, un sourcil
haussé.
— N’ayez crainte, madame. C’est un ami. Nous vous
conduisons dans un endroit sûr avant de vous ramener à Rocca. Vous reverrez
bientôt votre père.
— Mais… c’est un homme !
Une voix d’une surprenante profondeur lui répondit alors :
— Et si l’on vous pose la question, madame, vous devrez
jurer avoir été chaperonnée avec tous les honneurs qui vous sont dus.
Ce qui fut dit avec un large sourire plein de douceur.
CHAPITRE XIV
« Tu as perdu tes cheveux ! »
La fille de cuisine aurait dû être en train de découper le
chou en tranches, la cuisinière était censée préparer le porc qui garnirait la
soupe, mais ni l’une ni l’autre n’avait pu résister au plateau du colporteur ;
la cuisinière s’était laissé distraire mais n’avait pas lâché son couteau, comme
pour montrer qu’elle était toujours au travail. Elle le pointa sur un ruban
couleur cerise qui serait parfait pour nouer son corsage du dimanche ; les
yeux de la fille de cuisine, quant à eux, s’attardaient plutôt sur le visage de
l’assistant du colporteur, qui présentait le plateau.
Weitere Kostenlose Bücher