Mort d'une duchesse
l’âtre dans lequel était installé le brasero.
Sigismondo le garnit de bois, et il dégagea bientôt une chaleur
bienfaisante en cette heure précédant l’aube.
Bandini serra le visage de son fils entre ses mains et l’embrassa
sur le front.
— Tu devrais te reposer, mon enfant. Tu es épuisé… et
tes mains sont encore tachées de sang.
— Tout est prêt, fit Sigismondo en ouvrant la porte.
Benno entra aussitôt, porteur d’une grande cruche d’eau
fumante emmaillotée de linges. Il la posa sur la pierre de l’âtre et alla
chercher une large vasque de terre émaillée décorée de dauphins. D’un geste
brusque il y versa l’eau chaude qui rejaillit et fit siffler le brasero comme
un chat en colère, puis il recula d’un pas.
La lumière illumina son visage et Di Torre eut un sursaut.
— Par la barbe de Lucifer, qu’est-ce que ce coquin fait
ici ?
Sigismondo avait remarqué qu’à la vue de Benno les gens
paraissaient immanquablement saisis d’une envie de le frapper ou, à tout le
moins, de lui crier après. Di Torre, devant ce visage qui le regardait d’un air
aimable et hébété, tendit les mains et le secoua avec vigueur.
— Réponds !
— C’est lui qui a risqué sa vie pour vous ramener votre
fille, expliqua Sigismondo.
— Lui ? fit Di Torre en reculant. Lui ?
On eût presque dit qu’il aurait préféré ne pas revoir sa
fille plutôt qu’elle lui soit restituée grâce à un individu aussi répugnant.
Sigismondo alla prendre le grand manteau posé sur le lit et
l’apporta à Ugo Bandini, dont le fils avait déjà ôté sa chemise et s’agenouillait
devant l’âtre pour se laver.
— Messire, vous devez rentrer chez vous avant que le
jour pointe. Quoi que vous fassiez, ne montrez aucune joie en rapport avec ce
que vous avez vu ici. Continuez à vous lamenter sur le sort de votre fils, et faites
exactement ce que l’on vous dira. L’homme qui vous a conduit ici vous
transmettra mes instructions.
Bandini se pencha pour embrasser une nouvelle fois le visage
mouillé de son fils, puis s’enveloppa du manteau.
— Vous aussi, messire Di Torre, vous devez rentrer.
— Mais… ma fille ? Ne devais-je pas repartir avec
ma fille ?
— Vous vous méprenez, messire, fit Sigismondo d’une
voix douce. Vous êtes venu ici vous assurer qu’elle était saine et sauve. Il
serait prématuré qu’elle rentrât avec vous. Il reste encore au moins une personne
dans votre entourage qui pourrait trahir sa présence chez vous. Nos ennemis n’avaient
pas tout misé sur l’esclave. Ils continuent de vous surveiller. C’est la raison
pour laquelle on vous a fait venir ici en grand secret et par de si longs
détours. On m’a dit que vous vous en étiez plaint, mais vous ne réalisez pas
quels dangers vous guettent. Depuis que nous avons soustrait votre fille aux
griffes du duc Francisco, ses ravisseurs guettent le moment où on vous la
ramènera. Votre rôle pour l’instant est d’obéir aux ordres qu’il vous a donnés.
— Aux ordres du duc Francisco ?
Une vive anxiété se peignit sur le visage de Di Torre, et il
résista à Sigismondo qui l’entraînait vers la porte.
— Agissez exactement comme il vous l’a demandé. Faites-moi
confiance.
— Ma fille…
— … est dans son lit, dans la chambre de la gente dame
qui a veillé sur elle depuis que nous l’avons sauvée.
Sigismondo était aussi convaincant dans le mensonge que dans
la vérité.
Ils arrivèrent à la porte de la rue. Même aidé par Sigismondo,
Bandini eut quelque mal à franchir le seuil à la marche manquante. Un jeune
homme d’allure sévère, vêtu d’un manteau à capuchon, et en qui il était impossible
de reconnaître la jeune servante de tout à l’heure, les attendait pour les
reconduire à leur domicile respectif, mais il demeura adossé au mur sans faire
le moindre geste secourable. Bandini réprima une envie de s’esclaffer en voyant
Sigismondo aider Di Torre à descendre à son tour la marche – son vieil ennemi,
emmitouflé dans ses fourrures, s’agrippant au montant de la porte en
tremblotant comme un vieux blaireau. Sigismondo referma sans bruit le panneau,
mit la barre et le verrou, puis remonta à l’étage.
Leandro était allongé sur le lit. Il avait défait les couvertures
mais ne les avait pas rabattues sur lui.
Sigismondo le couvrit pendant que Benno remportait la cruche
et la vasque. Leandro remua. Il avait mille questions à poser, dont un
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