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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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trop lourde que l’on voyait parfois
tirer la poche. À tout regard insistant leurs yeux répondaient par des regards
sournois et durs, soudainement dégainés. Nous n’étions plus, vraiment, les
compagnons d’un mort, mais une troupe de choc en marche, l’âme tendue, les
mains prêtes.
    Caché lui aussi derrière des rideaux, Dario nous regarda
passer, mesurant dans son esprit notre élan et songeant que le sang de Joan
Bregat, pauvre gars ! cimentait à point la force ouvrière. – Personne ne
savait Dario debout à cette fenêtre pareille à toutes les autres. Personne, sauf
le señor Felipe Sarria (le seul qui n’eût pas dû le savoir) qui, sachant à peu
près tout, ne pouvait déjà presque plus rien.
    L’après-midi avait été fraîche, le soir fut accablant. De
lourds nuages, portés par des vents chauds venaient vers la ville des plateaux
brûlés de Castille et de plus loin sans doute, du désert africain. La foule
flânait sur les boulevards, plus lente que de coutume. Les corps étaient moites,
les lumières crues, les ombres opaques. Et voici qu’un fluide passa de proche
en proche, fouettant les nerfs de tous ceux qui, l’instant précédent, allaient
d’un pas nonchalant sous les arbres oppressants. Ceux qui montaient vers la
place haute se retournèrent, magnétisés, et descendirent vers le port. Les
ruisselets humains coulèrent de toutes parts vers la foule dense et murmurante
subitement amassée, non loin d’un café où flambaient d’énormes lettres de feu
perpendiculaires : BRAZIL. Une auto luisante ainsi qu’un formidable
coléoptère foncé, aux reflets verts, s’arrêtait là ; des feuilles blanches
s’envolaient en gerbes autour d’elle, plus avidement happées par les regards et
les mains que les fleurs dans les batailles de fleurs. Et quand deux hommes
apparurent, debout sur les banquettes, dressées au-dessus de la foule noire et
mouvante, crûment éclairés par les lettres de feu : BRAZIL, le murmure du
flot humain se changea en crépitement de mains, puis en longue acclamation, puis
en clameur. L’ovation décroissante et renaissante se fondit en lointains
roulements de tonnerre. Le señor Domenico y Massés saluait la foule, de sa
belle barbe inclinée, encore inclinée, de ses deux mains tendues, du rire
éclatant de ses dents. Il implora le silence pour que, plus massif et plus rude,
avec une face carrée d’échevin flamand, le leader de la ligue régionaliste pût
parler. – Cette voix cassante claqua comme au vent un drapeau.
    Les camarades faisaient tache dans cette foule parfumée dont
ils ne partageaient point la griserie. Si le señor Domenico avait senti se
poser sur lui leurs regards défiants, son sourire vainqueur se fût certainement
effacé comme s’évanouit au grand jour la lumière d’une bougie qui sait pourtant
faire danser dans la nuit de si grandes ombres…
    – Salut, Lejeune !
    – Salut. On dit que les juntes de l’infanterie…
    – Oui.
    – Un provocateur a été tué, ce matin, à San Andrés… Vous
marchez toujours avec ces farceurs-là ?
    – Viens boire une orangeade.
    À la même heure que la veille, le même appel du téléphone
obligea don Felipe à déposer sa cigarette dans le cendrier nickelé. Une bizarre
voix blanche tremblait cette fois au bout du fil. Don Felipe dut la capter et, fuyante,
la ressaisir. « Allo, allo, mais oui… Je ne saisis pas… Comment dites-vous ?
Tué ? Où ? Chez lui ? Perez Vidal ? » Déjà ! pensa
don Felipe. En somme ce coup de stylet tombait bien. Économie très appréciable :
Perez Vidal « brûlé », il fallait lui payer le voyage de Buenos-Aires.
« Vous vous croyez repéré ? Oui, comptez sur moi. Mais si vous n’êtes
pas tout à fait sûr du fait, patientez deux ou trois jours. Voyons, vous êtes
peut-être sous l’impression de cette triste histoire… » La voix blanche se
débattait au bout du fil comme un poisson dans la nasse. De l’argent, de l’argent
et vivement l’express de Madrid ! Patienter ? L’homme qui parlait là
ressentait une vague douleur nerveuse à cet endroit de la poitrine où Perez
Vidal avait eu la peau trouée par une mince lame triangulaire. « Comptez
sur moi ! » répéta don Felipe, mais il réfléchit qu’en trois ou
quatre jours les hommes du répertoire A2 lui réaliseraient peut-être une
nouvelle économie.
    Il soupira cependant à l’idée du grand diable chevelu sans
doute allongé maintenant sur la table

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