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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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commissaire ; et leurs têtes dodelineront
piteusement de gauche à droite, de droite à gauche, comme la tête du
commissaire. Des rides autour des narines appauvrissent son visage de petite
femme pas cher. Elle doit avoir une voix méchante dans les notes aiguës, un
esprit calculateur de ménagère informée des prix, une grande jalousie des riches.
Elle a honte de porter des souliers déformés à 18 francs. Son amant s’appelle Émile.
    – N’est-ce pas, Mademoiselle, qu’il s’appelle Émile ?
    Elle sursauterait : – « Insolent ! » – puis
radoucie, me sentant entièrement désarmé, demanderait sans voiler sa surprise :
    – Comment l’avez-vous deviné ?
    Cette scène s’est jouée entre nous dans la zone des
événements possibles, un peu avant l’explosion noire d’un tunnel.
    Nous tombons longuement dans les ténèbres : nous allons
tomber en pleine lumière.
    Et l’idée que je veux chasser me transperce, comme une
aiguille électrique, d’une tempe à l’autre : Dario sera tué, pour cette
ville, pour nous, pour moi, pour l’avenir. Tous les matins, quand il sort de la
maison où il a dormi, tous les soirs quand il entre dans les arrière-salles de
petits cafés où quinze hommes – dont un traître – l’attendent, à toutes les
heures de son patient travail de meneur, il va vers cette fin marquée pour lui.
Et l’un des hommes qu’il est – car nous sommes multiples, il y a en nous des
hommes endormis, d’autres qui rêvent, d’autres qui attendent leur instant, d’autres
qui s’en vont, s’effacent peut-être définitivement – le sait : c’est celui
dont la bouche a un petit pli las et dont l’œil se dérobe à la rencontre
amicale pour chercher quelque chose au loin, abri, refuge, issue imprévue.
    Ma feuille de route peut me mener loin, moi aussi. Cette
idée me rassérène par une sorte de rétablissement d’équilibre entre nos
destinées.
    … Quand la petite poule blonde va au lavatory un guardia l’attend
devant la porte, matériel comme une borne, abstrait comme la consigne.
    Une vieille ville apparaît pas loin de la voie, avec des
tours rondes, des murs crénelés qui croulent de vieux toits d’ardoises. Alentour
un immense abandon. Ville dormante au bord des routes de la vie, Hostalrich.
    Autre ville, couchée le long d’un rio desséché. Ce lit de
rivière pierreux, sablonneux, couleur de terre brûlée est triste comme une
morne mort dans la désolation du soleil qui dévore et dessèche. De hautes
vieilles maisons calcinées regardent la rivière tarie de toutes leurs petites
fenêtres où pendent des linges. Vieilles maisons, vieilles prisons, des vies
pauvres se débattent chacune dans son casier sous leurs vétustés comme des
pensées sous un front crevassé de rides. Les trouées d’ombre des ruelles mènent
peut-être vers une place bordée d’arcades, apaisée par l’ombrage de grands
platanes : un cabaretier débonnaire vous y servirait le vin aigrelet du
pays. Une tour d’église anguleuse, âpre pierre grise, clocher pointu, horloge, domine
la ville : et c’est tout ce qui monte : une croix de fer dans le dur
ciel de saphir.

16. Frontière.
    L’adjoint au commissaire spécial de la frontière est un
monsieur plein de bonne humeur, aux bras un peu courts, au nez un peu fort et
un peu rouge. Je suis sûr qu’il reconnaît infailliblement au goûter les bons
crus, sa maison est blanche à volets verts ; deux grands buissons de roses,
des deux côtés de l’entrée, l’accueillent tous les matins avec leur chanson
sans paroles : « Qu’il fait bon vivre, Monsieur Comblé ! Vous
avez bien dormi, Monsieur Comblé, dans des draps frais fleurant la lavande, auprès
d’une blonde à la peau satinée. Vous allez bien déjeuner, Monsieur Comblé, et
il y a des chances, des chances, Monsieur Comblé, que vous receviez de l’avancement,
au premier mouvement du personnel. » M. Comblé apprécie le parfum d’une
rose trémière, couleur « le sein de ma mie » (« réussite d’horticulteur
et trouvaille de poète ») et répond allègrement aux roses familières dans
le silence de son âme heureuse, si confortablement logée dans un corps à peu
près sain (un peu d’arthritisme, hélas) : « Ce ne serait que juste, fleurs
exquises, que les bons services de Monsieur Comblé fussent récompensés. N’ai-je
pas arrêté cette petite espionne brune, au drôle de petit nez retroussé, que
ces chers collègues

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