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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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devant rien. Socialiser
la misère vaut mieux que l’asservir…
    D’autres fois un groupe rêveur s’attardait devant la fenêtre
ouverte. Le maigre Dimitri, marin qui crachait ses poumons, proposait :
    –  Transvaal ?
    La chambrée entonnait ce chant plein d’allusions qui s’éleva
longtemps dans les petites villes russes, en des années où il n’était permis d’exalter
dans l’Empire qu’une liberté sud-africaine étranglée par l’Anglais. Transvaal,
Transvaal, ô mon pays, tout embrasé de flammes… – Le chant unit les
hommes comme le combat, la souffrance, l’exaltation commune. Nous nous sentions
des frères. Notre voix de prisonniers planait, souveraine, sur les vergers
assombris de cette campagne normande, rappelant du fond d’un passé de
révolution des voix depuis longtemps éteintes et rejoignant peut-être à des
milliers de lieues les chœurs de soldats d’une révolution vivante, au repos sur
les berges de larges fleuves…

26. Nous.
    Ce fut l’existence ralentie des camps de concentration ;
misère dosée avec indifférence par des Commissions qui estimaient sans doute
que ces gens-là étaient encore logés à trop bonne enseigne à l’heure où tant d’autres
qui valaient infiniment mieux se faisaient tuer. Ce ramassis de suspects, d’indésirables
et de subversifs recevait paisiblement tous les jours la tranche de pain de
trois cents grammes, la soupe et les haricots ; et il n’avait qu’à
attendre la fin du cataclysme sous lequel s’écroulaient les cathédrales et les
empires. Passage du vaguemestre le matin, journaux, lettres, farces, comme
cette fausse réponse d’un avocat-député qui bouleversa Alschitz pour plusieurs
soirées :
    « Monsieur,
    « Votre cas me paraît très intéressant. Votre dossier, dont
j’ai pris connaissance avec l’autorisation de M. le président du Conseil, contient
des pièces sur lesquelles il importe de faire une complète lumière. Faites-moi
connaître avec la plus grande précision l’emploi de votre temps dans la soirée
du 17 au 18 août 1914 entre sept et neuf heures du soir… »
    Le professeur de maintien et d’espagnol fouillait
désespérément son passé, à des années de distance.
    – Je crois, dit-il enfin, que j’étais à Nancy…
    – À Nancy ! s’exclama Sam. Dans l’Est ! Ah, mon
pauvre ami !
    Longues marches dans la cour pour tuer le temps. Rares
étaient ceux qui, dans cette oisiveté forcée, savaient encore le prix des
heures, lisaient, dessinaient, apprenaient. Tout aussi rares les résistants qui
ne se négligeaient point. Se raser tous les jours, faire de longues ablutions à
la pompe puis des mouvements respiratoires, brosser ses habits, cirer ses
chaussures, était pourtant un gage certain de victoire sur la démoralisation. Cette
autodiscipline tenait l’homme debout, plein d’une simple assurance, parmi des
êtres veules.
    Le régime n’était pas dur. Ce n’était que l’isolement du
monde extérieur, le désœuvrement, la faim, la captivité sans raison ni terme
précis, les fusils chargés braqués sur nos fenêtres. De l’appel du matin à l’appel
du soir nous étions libres. Et les jours coulaient aussi vides que dans les
prisons, mais remplis d’une distrayante rumeur de propos, de rires, de marches,
de menues tâches, de parties de cartes ou de dames. Maerts s’enrichissait, Faustin
II lavait le linge des messieurs, l’Argentin faisait des commissions louches d’une
chambrée à l’autre et se frottait aux plantons, Alschitz professait (six sous
le cachet), Ossovski, vieux voleur pareil à un saint, lisait à sa fenêtre, le
vieux Kostia égrenait son chapelet noir, Antoine cheminait le long des murs, titubant
un peu, le visage penché vers la terre, comme ivre, ivre peut-être de faim ;
les quatre cents autres, pareils en somme à ceux-ci, quatre cents prisonniers, croyaient
tuer le temps qui les tuait tout doucement… Des malades vivaient en tête à tête
avec leur mal, comme ce Krafft, aux joues ridées, dans la mansarde duquel nous
nous réunissions, qui se détournait pour cracher dans son mouchoir et dénombrer
dans ses crachats des filaments de sang. Des mouchards consignaient dans des
billets au crayon, tracés d’une écriture déformée, les propos surpris dans les
groupes, et le soir le gendarme Richard, passant sous nos fenêtres dans l’enceinte
du camp, ramassait ces boulettes de papier alourdies d’un petit caillou. Deux
vieux tout

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