Napoléon
Pologne. Cela m’occupe loin d’eux ; voilà ce qu’il leur faut ; ils en sont donc enchantés.
Au cours de cette même conversation, Caulaincourt se permet de montrer à l’Empereur que « ses projets » effrayent aussi bien le tsar que l’Autriche :
— Chacun se croit menacé, la peur fait taire les petits États, mais l’Autriche ne court aux armes que par la peur qu’elle a comme tout le monde.
— Quel projet me croit-on donc ? demande Napoléon.
— De dominer seul, affirme l’ambassadeur.
— Mais la France est assez grande ! Que puis-je désirer ? N’ai-je pas assez de mes affaires d’Espagne, de la guerre contre l’Angleterre ?
— Il y en aurait, sans doute, plus qu’il n’en faudrait pour occuper tout autre que Votre Majesté ; mais la présence de ses troupes en Allemagne, sa détermination de garder ses positions sur l’Oder, tout porte à croire, comme, pour mon compte, je l’avoue à Votre Majesté, j’en suis convaincu, qu’elle a d’autres projets et que son ambition n’est pas satisfaite.
Comment apaiser ces craintes que l’Empereur considère comme injustifiées ?
— Quelle solution voyez-vous, Caulaincourt ?
— Retirez vos troupes d’Allemagne, Sire, ne gardez qu’une place comme garantie de vos contributions et le monde restera en paix.
Et comme Caulaincourt développe cette idée en la répétant à plusieurs reprises, Napoléon s’exclame en riant :
— Vous n’entendez rien aux affaires.
Le point de friction réside, entre le tsar et Napoléon, à la fois au sujet de la question des provinces danubiennes qu’Alexandre désire envahir et dans le refus de l’Empereur d’évacuer les places de l’Oder.
— Puis-je abandonner ma position en Prusse, essaye-t-il d’expliquer au tsar, en un mot m’affaiblir en Allemagne dans le moment où, profitant de mes embarras en Espagne, l’Autriche me menace ?... N’est-il pas dans l’intérêt de l’alliance, au moment où nous allons faire une grande démarche pour amener l’Angleterre à la paix, que nous paraissions unis, etmoi fort aux yeux de notre ennemi commun ?
Le tsar n’en eût certes pas moins préféré voir la France moins avancée au coeur de l’Europe...
— Mon allié, mon ami, reprend Napoléon, peut-il me proposer d’abandonner la seule position d’où je menace les flancs de l’Autriche, si elle m’attaque pendant que mes troupes sont au midi de l’Europe, à quatre cents lieues de chez elle ? Ce que j’étais disposé à faire il y a quatre mois, je ne puis l’exécuter aujourd’hui... Le séjour prolongé de quelques troupes en Prusse ne peut inquiéter la Russie, quand je tire toutes mes forces de l’Allemagne pour les porter dans la Péninsule.
Assurément cette franchise aurait pu émouvoir Alexandre, si Talleyrand ne s’était point chargé d’ouvrir son horizon. Napoléon sent la réserve du vaincu d’Austerlitz. Il insiste :
— Ces mesures vous prouvent ma confiance en vous. Ayez-en donc aussi en moi, et ne détruisez pas, par des inquiétudes non fondées, le bon effet de notre accord... Si j’évacuais les places de l’Oder, vous évacueriez celles du Danube. Il est de votre intérêt d’y rester, puisque vous avez la certitude de vous faire céder la Valachie et la Moldavie. La Porte ottomane, voyant qu’elle n’a aucune intervention à espérer de ma part, sera pressée de souscrire aux conditions que vous lui dicterez...
L’argument présente quelque poids, mais le tsar a du mal à se résigner. Napoléon le sent de plus en plus réticent. Un jour, l’Empereur s’emporte et jette son chapeau à terre.
— Vous êtes violent, moi je suis entêté, remarque calmement Alexandre. Avec moi, la colère ne gagne rien. Causons, raisonnons, ou je pars.
Napoléon le retient. Mais à Talleyrand, qui doit rire sous cape, Napoléon confie :
— Je n’ai rien fait. Je l’ai retourné dans tous les sens, mais il a l’esprit court, je n’ai pu avancer d’un pas !
— Sire, soutient Talleyrand avec le plus grand sérieux, je crois que Votre Majesté en a fait beaucoup depuis qu’elle est ici, car l’empereur Alexandre est complètement sous le charme !
— Vous êtes sa dupe, constate Napoléon. S’il m’aime tant, pourquoi ne signe-t-il pas ?
Et Caulaincourt entend son maître soupirer :
— Votre empereur Alexandre est têtu comme une mule. Il fait le sourd pour les choses qu’il ne veut pas entendre. Ces
Weitere Kostenlose Bücher