Napoléon
l’impression que son « flirt » avec le tsar commence quelque peu à tiédir. La flambée presque amoureuse de Tilsit s’éteindrait-elle déjà ? Sans doute Alexandre, sitôt reçue la nouvelle de Baylen, a-t-il ‘déclaré à Caulaincourt : « C’est dans les circonstances difficiles que Napoléon me trouvera », mais, par son ambassadeur à Vienne, Kourakine, il n’en donne pas moins ce conseil aux Habsbourg :
— Le parti le plus sage pour l’Autriche me paraît être de rester spectateur tranquille de la lutte que Napoléon va soutenir en Espagne. Il sera toujours temps de prendre ensuite le parti que les circonstances suggéreront.
La fin de sa déclaration démontrait le double jeu mené par le tsar. Présentement, il fallait endormir l’empereur des Français... Pour la suite, on aviserait plus tard ! Et Alexandre ne demanderait alors pasmieux, son ami de Tilsit en difficulté, que de se ranger au « parti » suggéré par « les circonstances ».
Napoléon, sentant confusément la tiédeur du « jeune et bon empereur », et voulant garder toute liberté d’agir outre Pyrénées, propose une rencontre qu’Alexandre s’empresse d’accepter. Il désire de son côté obtenir le blanc-seing de la France pour avoir les mains libres en direction des provinces danubiennes. En échange, il approuvera la conquête de l’Espagne.
Le lieu de l’entrevue est choisi : Erfurt, sur les bords de la Géra, non loin de Weimar, au coeur même de l’Allemagne. On y convoquera également, pour la fin du mois de septembre 1808, les rois de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg, et les princes de la Confédération du Rhin.
— Je veux, avant de commencer, annonce Napoléon, que l’empereur Alexandre soit ébloui par le spectacle de ma puissance !
Aussitôt toute la cour des Tuileries s’agite. « Chacun, nous dit Talleyrand, se donne du mouvement pour en être. » Caulaincourt, bien sûr, sera du voyage, et l’Empereur lui parle de « l’ouverture qu’il désirait que lui fît l’empereur Alexandre, comme conseil d’amitié, comme marque d’intérêt, sur la convenance pour lui d’un nouveau mariage, sur la nécessité d’avoir des enfants, pour consolider son ouvrage et fonder sa dynastie... »
Caulaincourt qui a pour Joséphine infiniment d’amitié – son père avait manqué épouser la veuve trop joyeuse de M. de Beauharnais – ne peut s’empêcher de montrer sa tristesse.
— C’est pour voir si Alexandre est réellement de mes amis, reprend Napoléon, s’il prend un véritable intérêt au bonheur de la France, car j’aime Joséphine. Jamais je ne serai plus heureux. Mais on connaîtra, par là, l’opinion des souverains sur cet acte qui serait pour moi un sacrifice. Ma famille, Talleyrand, Fouché, tous les hommes d’Etat me le demandent au nom de la France. Au fait, un garçon vous offrirait bien plus de stabilité que mes frères qu’on n’aime pas et qui sont peu capables. Vousvoudriez peut-être Eugène ? Les adoptions ne fondent pas bien les dynasties nouvelles.
Napoléon pense demander un jour à Alexandre la main de sa soeur, la grande-duchesse Catherine et envoie Talleyrand auprès du tsar afin de préparer l’entrevue.
— Mon cher Talleyrand, précise-t-il, il faut que vous soyez à Erfurt un jour ou deux avant nous... vous connaissez bien l’empereur Alexandre, vous lui parlerez le langage qui convient.
Veut-on connaître le langage que M. le prince de Bénévent estime devoir convenir aux intérêts de son maître ? Aujourd’hui que ses propres intérêts ne coïncident plus avec ceux de Napoléon ?
— Sire, assura Talleyrand au tsar, que venez-vous faire ici ? C’est à vous de sauver l’Europe et vous n’y parviendrez qu’en tenant tête à Napoléon. Le peuple français est civilisé, son souverain ne l’est pas. Le souverain de Russie est civilisé, son peuple ne l’est pas : c’est donc au souverain de Russie d’être l’allié du peuple français. Le Rhin, les Alpes, les Pyrénées, sont les conquêtes de la France. Le reste est la conquête de l’Empereur. La France n’y tient pas !
Et l’on se trouvait seulement en automne de l’an 1808 !
M. de Talleyrand est bien décidé à trahir son maître. De toutes les erreurs irréparables de ces douze derniers mois : depuis la création du royaume de Westphalie – Jérôme, ce charmant et amusant roi-bouffe de l’épopée à sa tête – depuis la nomination, au
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