Napoléon
col.
Ségur n’en estime pas moins que l’on ne peut reculer : l’ordre est formel, Korjietulski s’incline. Les sabres sortent du fourreau, les pistolets sont saisis de la main demeurée libre, les rênes sont serrées entre les dents... et les Polonais s’élancent. Au sommet les armes crépitent ; de tous côtés, la mitraille tombe, drue, meurtrière, implacable. Les Polonaispoussent leur cri de guerre auquel se mêlent des cris de douleur. Seule une poignée d’hommes atteint le haut du col. L’infanterie suit et c’est la débandade chez l’ennemi. Benito San Juan, voulant arrêter les fuyards, se fait fusiller par eux avec ses officiers ! Pendant ce temps, Napoléon, ému, se découvre devant les chevaux-légers polonais, survivants de la charge héroïque :
— Vous êtes tous dignes de ma Vieille Garde, je vous reconnais pour ma plus brave cavalerie !
Les Polonais pleurent de joie.
La route de Buitrago puis celle de Madrid se trouvent libres. La capitale est atteinte, et, sous sa tente dressée aux portes de la cité, Napoléon reçoit des m lins de Thomas de Morla, le 3 décembre, la capitulation de la ville.
Que va-t-on faire maintenant de Joseph qui a été autorisé à venir rejoindre son frère ? Comme le dira l’Empereur, le 7 décembre : « Il ne s’agissait pas de recommencer Philippe V, qui avait oublié sa première nationalité jusqu’à devenir l’ennemi de son neveu Louis XV. » Aussi, dans sa proclamation aux Espagnols, Napoléon précise-t-il sa pensée :
— Je ne refuse pas de céder mes droits de conquête au roi lorsque les trente mille citoyens de Madrid auront donné l’exemple aux provinces. Il dépend de vous que cette constitution soit encore votre loi. Mais si tous mes efforts sont inutiles et si vous ne répondez pas à ma confiance, il ne me restera qu’à vous traiter en provinces conquises et à placer mon frère sur un autre trône. Je mettrai alors la couronne d’Espagne sur ma tête et je saurai la faire respecter des méchants.
Don José primero propose à l’Empereur d’abdiquer, renonciation que Napoléon a le plus grand tort de refuser. Il le regrettera plus tard amèrement :
— C’était l’homme le plus incapable et précisément l’opposé de ce qu’il fallait !
Et Joseph redevient roi pour le plus grand malheur de tous – sauf pour les amateurs de courses de taureaux que le souverain rétablit et auxquelles il assiste avec une passion digne d’un véritable Espagnol.
Plein de bonne volonté, il se rend, en effet, aux processions avec son état-major, fait semblant de manger avec gourmandise le trop huileux riz à la valenciana, qui lui donne des haut-le-coeur. Tout cela n’empêche pas la plus grande partie de son peuple de le considérer comme roi d’Espagne « par la grâce du diable ! », ou de le traiter « d’esclave couronné ». Les Espagnols qui ont admis l’étalage des amours de leur reine avec Godoy, sous les yeux du trop complaisant Charles IV, ne pardonnent pas à leur nouveau souverain d’aimer les femmes – lesquelles, sous la plume de ses ennemis, deviennent « d’immondes prostituées ». Par contre, lorsque Joseph pourra se rendre à Séville, en février 1809, il deviendra populaire. On ne sait trop pourquoi – peut-être en sa qualité d’aficionado – il sera adulé, comparé à un envoyé de Dieu, couvert de présents, tandis que, nous rapporte l’un de ses aides de camp, « les prêtres et les moines viennent lui baiser les mains du matin jusqu’au soir ».
Mais, nous n’en sommes pas encore là ! Pour l’instant, Napoléon décide de chasser les Anglais hors de la péninsule. Venant du Portugal, sir John Moore a fait passer trente mille hommes en Espagne, et cinq mille habits rouges ont débarqué à La Corogne. Ils veulent «faire les crânes », annonce l’Empereur à Joséphine, en quittant rapidement, le 22 décembre 1808, le château de Chamartin. Pour se porter au-devant de l’ennemi marchant sur Madrid, l’obliger à reculer et le jeter à la mer, il lui faut traverser à nouveau la Sierra...
Ce fut une marche atroce.
Arrivé, le jour même de son départ, au pied de la Guadarrama, Napoléon apprend que les bataillons d’avant-garde, repoussés par les tourmentes, aveuglés par la neige, rétrogradent. L’Empereur ordonne à tous les soldats d’un même peloton de se tenir par les bras afin de ne pas être emportés par le vent. La cavalerie met pied à
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