Napoléon
terre et doit marcher dans le même ordre. Les chevaux suivent tenus en main. Pour donner l’exemple, l’Empereur forme l’état-major en plusieurs groupes et se place entre Lanneset Duroc. Les officiers « entrelaçant leurs bras », se portent en avant et gravissent la montagne en dépit de la violence du vent glacial, de la neige qui leur fouette le visage et du verglas qui les fait trébucher à chaque pas. L’ascension dure quatre mortelles heures. Arrivés à mi-côte, les maréchaux et les généraux chaussés de grandes bottes à l’écuyère, ne peuvent plus avancer... Napoléon se fait alors hisser sur un canon où il se place à califourchon ; l’état-major agit de même : « Nous continuâmes à marcher dans ce grotesque équipage, racontera Marbot, et nous parvînmes enfin au couvent situé sur le sommet de la montagne... »
En quittant le col et en se laissant glisser sur la neige de l’autre versant, Napoléon s’exclame :
— Foutu métier !
Les jours suivants, la progression, au coeur des éléments déchaînés, se poursuit insensée, folle, inhumaine. Lui presse le pas, souffrant, peinant comme ses hommes, et faisant semblant de ne pas entendre leurs imprécations. Les grognards grondent :
— Les forçats ont moins de maux que nous !
L’armée continue à se porter en avant, dans le but de couper la retraite aux Anglais qui se dirigent à marches forcées vers la côte. Dans son impatience de rejoindre l’ennemi, Napoléon exige de ses hommes qu’ils effectuent ce dur trajet en trois jours, alors que les nuits sont les plus longues de l’année. « J’ai rarement fait une marche aussi pénible, rapporte le général Marbot ; une pluie glaciale perce nos vêtements, les hommes et les chevaux s’enfoncent dans un terrain marécageux ; on n’avance qu’avec les plus grands efforts, et comme tous les ponts ont été coupés par les Anglais, nos fantassins sont obligés de se déshabiller cinq ou six fois par jour, de placer leurs armes et leurs effets sur leur tête, et d’entrer tout nus dans l’eau glaciale des ruisseaux qu’il nous fallait traverser. Je le dis à regret, je vis trois vieux grenadiers de la Garde, se trouvant dans l’impossibilité de continuer cette pénible marche, et ne voulant pas rester en arrière decrainte d’être torturés et massacrés par les paysans, se brûler la cervelle avec leurs propres fusils ! »
Je suis un brave homme, déclare l’un de ces désespérés, vous m’avez vu au feu ! Je ne veux pas déserter, mais ceci est trop fort pour moi.
« En achevant ces mots, nous raconte de son côté le futur maréchal de Castellane, il appuie le bout du canon de son fusil sur sa tête, pousse la détente avec le pied, et tombe. »
Le 28 décembre, l’Empereur galope vers Yalderas en dépassant toutes les troupes. Le piquet de cavalerie a bien du mal à suivre son train d’enfer. Plusieurs chevaux démontés suivent, tenus par la bride. Napoléon est, en effet, un piètre cavalier, il n’a aucune assiette, aussi les chasseurs de l’escorte mènent-ils toujours avec eux cinq ou six bêtes de rechange et, lorsque l’Empereur tombe avec sa monture, ils lui en amènent aussitôt une autre toute sellée.
En arrivant à Valderas, on s’aperçoit que la cavalerie anglaise vient de se replier. Il pleut maintenant à torrents, les chemins sont d’effarants bourbiers. De toute la Garde à pied, cent hommes seulement parviennent dans la nuit à Valderas.
Le 2 janvier 1809, l’Empereur, peu avant d’atteindre Astorga, reçoit de nombreuses dépêches : l’Autriche réarme de plus belle et la tiédeur du tsar s’affirme. Fait plus grave, Talleyrand et Fouché se sont réconciliés. Personne ne peut en croire ses yeux ! On les a vus, le 20 décembre 1808, se tenir par le bras et se parler de la façon la plus aimable. Que complotent-ils ? Certains affirment avoir entendu le duc d’Otrante dire au cours de cette soirée :
Insensé, il met le feu partout !... Il faut en finir !
De son côté, Talleyrand aurait, une fois de plus, répété qu’il désapprouvait cette folle guerre d’Espagne, alors qu’il l’avait – perfidement – conseillée à son maître... Fouché, qui affirme dans ses Mémoires avoir, lui aussi, parlé à Napoléon du guêpier espagnol, pensait assurément à la mort éventuelle de l’Empereur – de cet empereur sans héritier. Lanouvelle guerre avec l’Autriche paraît inévitable et
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