Napoléon
Français, vous êtes obligée d’obéir aux ordres des ministres ; un mandat de prise de corps décerné par le ministère de Police vous ferait très bien arrêter, non seulement vous, mais le premier prince du sang. »
L’Autriche, maintenant dépecée, est devenue une puissance de second ordre. Napoléon ira-t-il rendre visite à la famille impériale, alors réfugiée à Erlau ? Certains l’affirment. Et l’archiduchesse Marie-Louise en frémit :
« Je vous assure, écrivait-elle alors, que voir cette personne me serait un supplice pire que tous les martyres. »
Mais, quelques mois plus tard, cette même archiduchesse sera livrée au Minotaure.
XII
LE MINOTAURE
On ne devrait pas permettre le mariage à des individus qui ne se connaîtraient pas depuis six mois.
N APOLÉON .
C HAQUE matin, à 10 heures, l’Empereur assisteà la parade qui se déroule du côté du parc deSchoenbrunn, devant l’escalier en fer à cheval, ou dans la cour du « palais impérial », dont deuxobélisques surmontés d’aigles napoléoniens marquentl’entrée. Ils y sont toujours.
Parfois Napoléon demande aux officiers d’un régiment :
— Quel est le plus brave d’entre vous ?
L’officier désigné par ses camarades, l’Empereur déclare :
— Je le fais baron et je récompense en lui nonseulement sa valeur personnelle, mais celle du corpsdont il fait partie.
Il lui arrivait aussi de commander le maniementd’armes ou de faire compter devant lui les piècescontenues dans un caisson.
Le matin du jeudi 12 octobre, tandis que l’Empereur passe la revue habituelle de la garde, Rapp est surpris par l’attitude étrange d’un jeune Allemand à la figure de fille, qui est parvenu à s’avancer vers Napoléon. À plusieurs reprises, on l’entend répéter qu’il désire parler à l’Empereur. Sa main droite demeure enfoncée dans la poche de sa redingote « Il me regarda, racontera Rapp, avec des yeux qui me frappèrent. » Des yeux d’un joli bleu de faïence. L’inconnu est pâle et ses traits efféminés ne sont pourtant pas inquiétants. Rapp n’en fait pas moins signe à un officier de gendarmerie. On arrête le personnage, on le fouille et on découvre sur lui un énorme couteau de cuisine enveloppé de plusieurs feuilles de papier gris :
— Quel usage vouliez-vous faire de ce couteau ?
— Je ne puis le dire qu’à Napoléon.
— Vouliez-vous vous en servir pour attenter à sa vie ?
— Oui, monsieur.
— Pourquoi ?
— Je ne puis le dire qu’à lui seul.
L’Empereur, ayant appris ces réponses, le fait conduire près de lui.
— Mais c’est un enfant ! s’exclame-t-il en voyant entrer le « meurtrier ».
— M’avez-vous déjà vu quelque part ? lui fait demander Napoléon par Rapp qui parle couramment l’allemand.
— Oui, je vous ai vu à Erfurt, l’année dernière, répond le jeune homme, qui se nomme Frédéric Staps.
— Il paraît qu’un crime n’est rien à vos yeux. Pourquoi vouliez-vous me tuer ?
— Vous tuer n’est pas un crime : au contraire, c’est un devoir pour tout bon Allemand. Je voulais vous tuer, parce que vous êtes l’oppresseur de l’Allemagne.
— Ce n’est pas moi qui ai commencé la guerre.
— C’est vous !
L’Empereur se penche sur les objets que l’on a trouvés sur Staps.
— Quel est ce portrait, demande-t-il en regardant une miniature représentant une jeune fille.
— C’est celui de ma meilleure amie, de la fille adoptive de mon père.
— Comment ! et vous êtes un assassin ? et vous n’avez pas craint d’affliger et de perdre les êtres qui vous sont chers ?
— Je voulais faire mon devoir : rien ne devait m’arrêter.
— Mais comment auriez-vous fait pour me frapper ?
— Je voulais vous demander d’abord si nous aurions bientôt la paix, et si vous m’aviez répondu que non, je vous aurais poignardé.
— Il est fou ! constate l’Empereur. Il est décidément fou ! Et comment espériez-vous échapper, en me frappant ainsi au milieu de mes soldats ?
— Je savais bien à quoi je m’exposais, et je suis même étonné de vivre encore.
Napoléon, éberlué, demeure quelques instants silencieux, puis reprend :
— Celle que vous aimez sera bien affligée.
— Oh ! elle sera affligée, sans doute, mais de ce que je n’aie pas réussi, car elle vous hait au moins autant que je vous hais moi-même.
— Si je vous faisais grâce ?
— Vous auriez
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