Napoléon
tort, car je chercherais encore à vous tuer.
L’Empereur envoie alors chercher Corvisart, en ajoutant :
— Ce jeune homme est malade ou fou, cela ne peut pas être autrement.
— Je ne suis ni l’un ni l’autre, répond Staps.
— Corvisart arrive, tâte le pouls de Staps, l’examine...
— Monsieur se porte bien, conclut-il.
— Je vous l’avais bien dit ! ajoute Staps, triomphant.
— Eh bien, docteur, lui déclare Napoléon, ce jeune homme qui se porte bien a fait cent lieues pour m’assassiner !
Et l’Empereur laisse fusiller son « assassin », mais, fait étrange, il discerne mal les mobiles qui ontpoussé le jeune Allemand à vouloir tuer le tyran de l’Europe. Assurément, c’est un dément ! « Il ne m’a pas paru bien savoir ce que c’était que Brutus », écrit Napoléon à Fouché. Staps se moque bien de Brutus. II est ébloui par l’histoire de Jeanne d’Arc et c’est là tout ! Aujourd’hui en face de l’autocrate français se dresse fièrement, comme en Espagne, le peuple d’un pays asservi – et qui refuse de l’être. La tentative du régicide ne démontre nullement à Napoléon qu’il est un despote et qu’il opprime l’Europe. Il constate simplement un fait : le voici à la merci – lui et son gigantesque empire – du poignard d’un exalté. Aussi lui faut-il un héritier !
Jamais peut-être autant qu’en ce lendemain de Wagram, il n’a eu, chevillé au coeur, le désir de forger le premier maillon d’une dynastie. À la seule pensée de voir un jour ses frères – et même ses neveux – lui succéder et régner sur la France, il frémissait... Depuis peu de temps d’ailleurs, il jaugeait enfin le clan à sa juste mesure. Un jour que toute sa famille se trouve réunie, il énonce :
— Je ne crois pas qu’il existe au monde un homme plus malheureux que moi en famille. Au reste, récapitulons : Lucien est un ingrat ; Joseph, un Sardanapale ; Louis, un cul-de-jatte ; Jérôme, un polisson.
Puis il ajoute, traçant un cercle avec sa main :
— Quant à vous, mesdames, vous savez ce que vous êtes.
« On le voit, dira le marquis de Bonneval, qui, témoin de la scène, nous le rapporte, le tableau était court, mais complet. »
Et Eugène ?
Eugène, soupire-t-il, ne porte pas mon nom, et, malgré les peines que je me suis données pour assurer le repos de la France, après moi, ce serait une anarchie complète. Un fils de moi peut seul mettre tout d’accord.
En ce mois d’octobre 1809, il pense d’autant moins à ses héritiers naturels, ceux du clan, que Marie Walewska, arrivée le mois précédent à Schoenbrunn et installée au charmant village de Moëdling – vient de lui annoncer une nouvelle qui l’a transporté de bonheur : elle attend un enfant de lui ! Elle lui avait écrit pour lui demander la permission de venir le rejoindre et il avait répondu :
«Marie, j’ai reçu votre lettre. Je l’ai lue avec le plaisir que m’inspire toujours votre souvenir. Les sentiments que vous me conservez, je vous les porte.
« Venez à Vienne, je désire vous voir et vous donner de nouvelles preuves de la tendre amitié que j’ai pour vous. Vous ne pouvez pas douter du prix que je mets à tout ce qui vous regarde. Mille tendres baisers sur vos belles mains et un seul sur votre belle bouche. »
Apprendre de cette même bouche le merveilleux événement l’a rendu fou de joie. Chaque jour, il fait chercher la chère Marie par Constant, dans une voiture sans armoiries. La route n’est pas bonne et, avec émotion, il recommande à son valet de chambre d’aller doucement :
— Prenez bien garde ce soir, Constant, il a plu aujourd’hui, le chemin doit être mauvais. Êtes-vous sûr de votre cocher ? La voiture est-elle en bon état ?
Il a si peur qu’il ne lui arrive un accident ! Ainsi il peut donner la vie ! Cette manière d’impuissance à procréer n’était pas – comme il s’y était résigné – la rançon de son génie ! Il lui était maintenant impossible de douter de son pouvoir de se survivre. Avec la chère Marie, avec son épouse polonaise, il n’y avait pas d’incertitude ! Et il devait maintenant tout faire pour se donner un successeur.
Pour cela, il fallait évidemment répudier Joséphine, et briser le lien de cette union inféconde.
— Toute ma vie, répétait-il, j’ai tout sacrifié, tranquillité, intérêt, bonheur, à ma destinée !
Cette fois, c’est un grand amour
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