Napoléon
suivi de ces mots adressés à l’un de ses officiers :
— Quel temps fait-il ?
Question sans intention et sans résultat pour luicar il ne paraît point entendre la réponse : il pleut et le thermomètre approche de zéro.
Enfin il se lève de table. L’Impératrice le suit à pas lents et le mouchoir sur sa bouche « comme pour comprimer des sanglots ». On apporte le café et, selon l’usage, un page présente le plateau à l’Impératrice, mais l’Empereur prend lui-même la tasse, verse le café, fait fondre le sucre en regardant toujours Joséphine qui demeure debout, « comme frappée de stupeur ». Il boit d’un trait et rend la tasse au page. Ensuite il fait un signe : il veut être seul avec l’Impératrice. On ferme la porte du salon derrière eux.
D’une pauvre voix, elle demande :
— Alors, tout est fini ?
Il essaye de lui expliquer la situation :
— Il n’y a aucune solidité dans ma dynastie si je n’ai pas d’enfant.
— Bien sûr... Mais n’a-t-il point des neveux ?
Mes neveux ne peuvent me remplacer ; la nation ne le comprendrait pas. Un enfant né dans la pourpre, sur le trône, au palais des Tuileries est, pour la nation et pour le peuple, tout autre chose que le fils de mon frère.
La malheureuse femme – « femme dans toute la force du terme », disait l’Empereur – fait semblant de perdre les sens.
— Vous me serrez trop fort, murmure-t-elle quelques instants plus tard, à voix basse, tandis que le chambellan Bausset aide Napoléon à transporter Joséphine évanouie dans ses appartements.
Cette comédie jouée par l’incorrigible créole ne l’empêche pas d’avoir un immense chagrin.
— Que les trônes sont malheureux ! avait-elle souvent soupiré...
Se souvient-elle de l’époque où elle riait en lisant les lettres délirantes de passion écrites, entre deux batailles, par son mari ?
— Qu’il est drolle, répétait-elle alors avec son accent chantant de la Martinique.
Comme ces souvenirs sont loin aujourd’hui ! Il valui falloir tout quitter. Napoléon, au cours de la grande scène qui vient de se dérouler, lui a offert la « principauté » de Rome, mais elle ne tient guère à s’expatrier et à s’éloigner de lui. Tout en gardant son rang, sa maison, sa pension d’impératrice, c’est à Malmaison qu’elle se retirera. Napoléon lui donnera également l’affreux château de Navarre, aux portes d’Evreux, et l’Elysée – qu’elle échangera contre Laeken où elle ne mettra d’ailleurs jamais les pieds.
Le jeudi 14 décembre 1809 le ciel est couvert « par d’épaisses vapeurs ». Le vent souffle avec force. Dans le grand salon se trouvent réunis, en uniforme d’apparat, en grande tenue de cour, Madame Mère, les rois Louis, Jérôme et Murat, les reines d’Espagne et de Naples. Seules, la charmante Pauline et Catherine, la reine de Westphalie, pensent à la peine que doit éprouver l’Impératrice, les autres ne voient qu’une chose : Napoléon renvoie la vieille – cette « femme galante », précisait même la Madré. Ce seront pourtant eux les dupes de la journée. Ne feront-ils pas désormais encore plus figure de parvenus lorsqu’une vraie princesse, une fille d’empereur, sera assise sur le trône impérial ? L’Empereur a exigé aussi la présence d’Eugène et d’Hortense. Ils sont là, tous deux, entourant leur mère et contenant leurs larmes, mais des sanglots secouent le corps de la reine de Hollande. Après quelques phrases banales, l’Empereur lance :
— J’ai besoin d’ajouter que, loin d’avoir jamais eu à me plaindre, je n’ai eu, au contraire, qu’à me louer de l’attachement et de la tendresse de ma bien-aimée épouse : elle a embelli quinze ans de ma vie : le souvenir en restera gravé dans mon coeur. Elle a été couronnée de ma main : je veux qu’elle conserve les rang et titre d’Impératrice couronnée...
Les derniers mots sont bien des fleurs sur une tombe. Joséphine se lève. Infiniment plus impériale que celle qui lui succédera, elle veut lire elle-même le texte qu’elle a préparé, mais l’émotion, les sanglots qui montent à sa gorge – ici nulle comédie – l’obligent à tendre ses feuillets au ministre Regnault de Saint-Jean-d’Angély.
— Je tiens tout de ses bontés : c’est sa main qui m’a couronnée et, du haut de ce trône, je n’ai reçu que des témoignages d’affection et d’amour du peuple français. Je
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