Napoléon
déjeuner avec nous ?
« Je demande à un autre :
— Qui est ce général ?
— C’est Savary.
« Ouf !
— Et ce gros chauve ?
— Davout.
« Aïe ! Ces noms me donnent la chair de poule !
« Après déjeuner, nouveau toupillage dans le salon. Enfin, les voitures s’avancent. L’Empereur part à cheval et gagne la forêt. Nous suivons. J’étais seul avec M. Germain, chambellan, et je ne sais plus qui. Il faisait assez froid. Nous nous promenons deux heures sans rencontrer l’Empereur. On le demande à tous les carrefours. Enfin, on rentre. Il était au palais depuis longtemps.
« Comme c’était la première journée du séjour à Compiègne et qu’il n’y avait encore de la cour que le strict nécessaire, il régnait un décousu fameux.
« À 6 heures, dîner. Je n’ai pas encore l’appétit ouvert. Soirée longuette. À la fin, M. de Nansouty, premier ou grand écuyer, me dit :
— L’Empereur vous fait savoir que vous le suivrez demain à la chasse, et vous permet de vous faire faire les uniformes de chasse. Pour demain, un de ces messieurs vous en prêtera un. Mais il faut tâcher que les vôtres soient prêts pour la chasse suivante.
« Révérence de ma part en réponse.
— Vous avez un appartement au château.
« Autre révérence.
« On se couche très bien à 9 h 30...
« Le lendemain à 9 heures, j’étais prêt. L’uniforme m’allait fort bien pour le haut, mais je n’avais ni bottes fortes, ni culotte verte, de sorte que mon costume ne cadrait pas trop. On m’offrit un chapeau, mais j’avais si peur qu’il n’y eût une cocarde, que j’aimais mieux mettre mon chapeau d’uniforme.
« Avant la chasse, M. de Nansouty vint me dire :
— L’Empereur vous accorde les – je ne me souviens plus – grandes ou petites entrées à son lever et à son coucher, et vous êtes censé être de tout le voyage.
« Ce qui voulait dire que je devais rester à Compiègne autant que lui. Je tournai à la mort !
« À 10 heures, on déjeuna sans l’Empereur, puis on se mit en voiture. Lui dans la première, et nous suivions. De jolis équipages allant comme le vent, de jolis chevaux, la plupart gris, des jockeys à la mode anglaise, d’une jolie tournure, et surtout des houzards culottés de rouge, qu’on appelle guides ou chasseurs, je ne sais pas bien, rendaient le coup d’oeil charmant.
« Au rendez-vous de chasse, nouveau déjeuner.
« C’est la seule fois que je me suis trouvé à table avec Napoléon. C’était pour moi le sentiment du monde le plus bizarre d’être presque à côté de lui, habillé de même que Savary, que Davout, que Duroc. Je me tâtais pour savoir si c’était bien moi. Le déjeuner fut l’affaire de dix minutes. Je prenais tranquillement du café, lorsque, en levant les yeux, je remarquai que j’étais le seul. Je crus même voir Napoléon sourire avec un de ces messieurs de ce que le chambellan autrichien se pressât si peu et, au moment où d’effroi je posais ma tasse, on se leva.
« On monte à cheval. L’Empereur part comme un trait. J’ai été étonné que tous ces messieurs osassent se dispenser de le suivre. Ils restèrent tranquillement devant la cheminée, au pavillon de la Faisanderie où l’on avait déjeuné. Davout fit la moitié de la chasse, puis s’en alla au palais. Savary ne quitta pasl’Empereur ; le général de Nansouty, le capitaine commandant la vénerie, M. d’Hannecourt, un écuyer-veneur, voilà ce qui suivait ex officio. Roustam aussi, et moi qui voulais me piquer de suivre Napoléon.
« J’étais si occupé à courir après lui pour ne pas le perdre de vue, que Savary me dit une fois :
— N’allez pas si près de l’Empereur !
« Jusqu’au premier relais, les choses se passèrent fort bien. Je ne le quittai point. Mais au moment où il change de cheval, on est perdu. Il est, comme de raison, si bien servi, il part si vite, qu’il n’y a pas moyen de le suivre. J’errai en tous sens dans la forêt. Tantôt je rencontrais un palefrenier, tantôt un général égaré, tantôt je voyais passer la chasse de bien loin, tantôt des promeneurs et des curieux m’en donnaient des nouvelles. Enfin, je ne rejoignis Napoléon qu’à la mort du cerf. L’animal était dans la rivière et nageait. L’Empereur avait mis pied à terre, tout le monde aussi. Moi seul restais à cheval par distraction. Vous voyez que j’ai fait bien des
Weitere Kostenlose Bücher