Napoléon
APOLÉON .
L E mardi 27 mars 1810, des torrents d’eau s’abattent sur une berline sans armoiries qui, venant de Compiègne, roule vers Soissons. En dépit des rafales de pluie, la voiture marche bon train. À l’intérieur, se trouvent deux hommes : Napoléon et son beau-frère, le roi Murat, qui se portent au-devant du cortège accompagnant Marie-Louise depuis Vienne.
Napoléon n’a pas eu la patience d’attendre le lendemain où, à Soissons, la nouvelle impératrice devait sejeter aux pieds de l’Empereur et lui réciter un petitcompliment. À cette cérémonie minutieusement préparée par les diplomates des deux empires, Napoléon a préféré sauter dans une berline et partir à larencontre de sa femme.
Depuis une semaine, depuis le lundi 19 mars, jourde son arrivée à Compiègne et bien que Mme deMathis eût occupé ses nuits – Napoléon est commeun homme ivre, « ivre d’impatience, ivre de félicité ». Austerlitz et Wagram semblent l’avoir moins grisé que ce mariage avec une petite-fille de Charles Quint.
— Je me donne des ancêtres, déclare-t-il avec superbe.
Napoléon se donne aussi une famille parmi laquelle on compte Louis XVI et Marie-Antoinette, devenus par cette alliance extraordinaire le grand-oncle et la grand-tante du marié. Déjà, avant même d’avoir fait la connaissance de son épouse, il modèle l’empire du fils qu’elle doit lui donner. Par le senatus consulte du 30 janvier 1810, l’Italie est reprise à Eugène et les apanages des frères et de leurs descendants abolis au profit des héritiers directs de l’Empereur.
Depuis que Marie-Louise était partie de Vienne, Napoléon avait avidement interrogé les courriers :
— Voyons, parlez-moi franchement, comment avez-vous trouvé l’archiduchesse Marie-Louise ?
— Sire, très bien.
— Très bien ne m’apprend rien. Voyons : quelle taille a-t-elle ?
— Sire, elle a la taille... à peu près de la reine de Hollande.
— Ah ! c’est bien. De quelle couleur sont ses cheveux ?
— Blonds, à peu près comme ceux de la reine de Hollande.
Il préfère les blondes aux brunes, aussi approuve-t-il.
— Bon, et son teint ?
— Fort blanc, et des couleurs très fraîches, comme la reine de Hollande.
— Elle ressemble donc à la reine de Hollande ?
— Non, Sire...
L’Empereur avait soupiré :
— J’ai de la peine à leur arracher quelques mots. Je vois que ma femme est laide car tous ces diablesde jeunes gens n’ont pu me prononcer qu’elle était jolie. Enfin, qu’elle soit bonne et me fasse de gros garçons, je l’aimerai comme la plus belle.
Là est en effet toute la question !
— À quel âge peut-on encore être père, a-t-il demandé à Corvisart. Je n’ai que quarante ans, mais un homme de soixante ans qui épouse une femme jeune a-t-il encore des enfants ?
— Quelquefois, Sire.
— Et à soixante-dix ?
— Toujours, répondit le médecin en souriant.
— Il faut à présent que je devienne aimable, déclare-t-il à sa belle-fille et belle-soeur Hortense. Mon air sérieux et sévère ne plairait pas à une jeune femme. Elle doit aimer les plaisirs de son âge. Voyons, Hortense, vous qui êtes notre Terpsichore, apprenez-moi à valser.
La fille de Joséphine éclata de rire, mais l’Empereur insista et elle dut s’exécuter. Napoléon n’a peut-être pas dansé depuis l’École militaire !
— Notre maître de danse, raconta l’Empereur, nous avait conseillé de prendre, pour valser, une chaise entre nos bras, en guise de dame. Je ne manquais jamais de tomber avec la chaise que je serrais amoureusement, et de la briser. Les chaises de ma chambre et celles de deux ou trois de mes camarades y passèrent l’une après l’autre.
Cette fois encore, le résultat fut piteux.
— Je suis trop vieux, constata Napoléon. D’ailleurs, ce n’est pas par la danse que je dois chercher à briller.
Il ne tenait pas en place, allait voir les appartements préparés pour la nouvelle impératrice où déjà l’attendaient robes, lingerie, chaussures exécutées sur des modèles envoyés de Vienne. « Ce fut à peine, racontera Norvins, si, pendant les quatre ou cinq jours que nous passâmes à Compiègne, nous pûmes entrevoir l’Empereur... C’était bien curieux de lui voir faire l’amour de loin. Il allait et venait dans les appartements de l’Impératrice, où les tapissiers étaient encore ; il pressait, il poussait lesouvriers ; il
Weitere Kostenlose Bücher