Napoléon
Bernadotte afin de lui demander de poser sa candidature. L’ex-sergent Bellejambe a du mal à reprendre ses aplombs. Il répond cependant avec élégance qu’il lui faut d’abord « l’accord préalable du roi de Suède et l’approbation de l’empereur des Français ».
— Je pense, lui déclare Otto Mörner, qu’il faut de préférence à notre patrie un Français qui adopte notre religion et qui soit connu pour ses talents, son courage et l’estime de l’auguste empereur de France, à la famille duquel il tient, étant beau-frère du roi d’Espagne ; enfin, qui a un fils assez âgé pour le remplacer sans régence quand le cours, de la nature l’exigera.
Sans doute le baron Mörner sera-t-il désavoué et même réprimandé à son retour en Suède pour avoir pris une telle initiative, mais l’idée n’en est pas moins lancée – et bien lancée ! Bernadotte, prenant les devants, demande à l’Empereur l’autorisation de poser sa candidature. L’Empereur, persuadé que Bernadotte n’a aucune chance, déclare publiquement « n’y voir aucun obstacle ».
Napoléon s’est trompé : le roi de Suède – du moins le croit-il – approuve le projet. Charles XIII aura ainsi l’appui du grand empereur.
— Que Napoléon nous donne un de ses rois, s’exclame-t-il et la Suède sera sauvée !
Sans tarder davantage, le roi désigne pour lui succéder celui qui avait épousé autrefois la fiancée de Bonaparte et la Diète élit Bernadotte, le 21 août 1810, par dix voix contre deux. Le comte Gustav Mörner – le cousin du baron Otto – prend aussitôt la route de Paris pour aller annoncer la merveilleuse nouvelle au nouveau prince héritier.
Napoléon ne peut que s’incliner – il le fera de mauvaise grâce. Pourtant, le 15 septembre, il offre à celui qui va abandonner son titre de maréchal un million-or pour le rachat de sa principauté de Ponte-Corvo. Les choses se gâtent, lorsque Bernadotte reçoit les lettres patentes impériales lui interdisant de jamais porter les armes contre la France.
— L’acte d’élection de la Diète suédoise, fait remarquer Bernadotte à Napoléon, m’interdit de contracter aucun engagement de vassalité étrangère... Aussi, dans le cas où Votre Majesté maintiendrait cette clause, je refuserais mon élection.
Napoléon s’apprête à déclarer qu’en ce cas, en effet, mieux valait s’abstenir, mais le rusé Béarnais poursuit :
— Sire, voulez-vous donc me placer au-dessus de vous en m’obligeant de refuser une couronne ?
— Eh bien, partez et que nos destinées s’accomplissent !
Le samedi 22 septembre 1810, le grand-maître des cérémonies de la cour impériale se trouve placé devant un problème délicat. Ce jour-là, Bernadotte doit venir faire ses adieux à l’Empereur. Or, en sa qualité de maréchal de France, l’ex-prince de Ponte-Corvo et son épouse ont le droit d’assister au dîner de famille des Tuileries. Si les Bernadotte se présentent comme princes royaux, ils ne peuvent venir que pour prendre congé. Aussi, imagine-t-on tout un scénario. Le prince, « en costume suédois », accompagné de Désirée, vient comme d’habitude s’asseoir à la table impériale. Après le dîner, l’Empereur rentre dans son cabinet et l’Impératrice descend dans ses appartements. La première dame d’honneur lui présente alors Bernadotte en qualité de prince héritier suédois. « Immédiatement, précise le protocole, on avertira l’Empereur qui se rendra dans l’appartement de l’Impératrice », où il jouera sans doute l’étonné de voir chez sa femme S.A.R. le futur roi de Suède.
Ainsi fut fait.
Sans doute Napoléon est-il furieux, au fond de son coeur, de voir que sans son intervention un maréchal de son armée a pu devenir prince légitime, qualité que lui-même ni aucun de ses frères ne pourra jamais revendiquer, mais à Metternich il dévoile sa pensée :
— Je n’ai pu me refuser à la chose, parce qu’un maréchal français sur le trône de Gustave-Adolphe est un des plus jolis tours joués à l’Angleterre.
Encore et toujours l’Angleterre !
Son désir d’en finir avec la « perfide Albion » va le dresser, une nouvelle fois, contre le Pape, lui fera prolonger la guerre d’Espagne jusqu’à la culbute finale, et le jettera ensuite dans l’épouvantable aventure russe.
Déjà, à la fin de 1811, Decrès pourra prophétiser :
— Voulez-vous que je vous dise la vérité
Weitere Kostenlose Bücher