Napoléon
L’empereur François propose à sa fille d’envoyer désormais ses lettres par les avant-postes : « Tu recevras ma réponse par la même voie, lui précise-t-il. Bien sûr je suis convaincu que ton mari et moi pouvons nous entendre et vivre en paix, – je l’ai prouvé en te donnant à lui pour femme, et je le prouve chaque jour en appelant la paix de mes voeux, – cela ne dépend pas de moi... En tout cas, quoi qu’il advienne, je n’oublierai jamais, cependant, que ton mari a ma fille pour épouse, et que ton fils est aussi à moi... »
Le brouillon de la lettre est de Metternich. La réponse de Marie-Louise lui est soufflée par Napoléon qui essaye de jouer sa dernière carte. Ainsi les deux interlocuteurs de Dresde poursuivent-ils leur dialogue :
« Vous ne pouvez vous représenter combien m’attriste la pensée que vous soyez mêlé à la guerre contre l’Empereur, votre gendre, alors que vous avez tous les deux un caractère qui devrait faire que vous soyez amis... Dieu veuille que nous ayons bientôt la paix ! l’Empereur le désire et tous les gens la désirent ici ; mais on ne peut faire la paix avant de négocier, et jusqu’à présent, il paraît qu’on fait beaucoup de façons de votre côté. Je suis sûre que les Anglais en sont la cause. »
Des Tuileries, « dans ce palais où il semble déjà qu’il y ait un mort », l’Empereur essaie de prouver à la France qu’elle n’est épuisée que « parce qu’elle s’estime telle ». Mais la tâche est écrasante : le pays est exsangue, accablé, frappé de stupeur. « La défaveur de Napoléon est à son comble », ainsi que le remarque Poumiès de La Siboutie. Sur le château pèse comme une chape de plomb.
Devant le Corps législatif réuni en comité secret, le député Laîné se lance dans un violent réquisitoire contre le régime :
— Une administration vexatoire, l’excès des contributions, le déplorable mode adopté pour la perception des droits et l’excès plus cruel encore du régime pratiqué pour le recrutement de nos armées... La conscription est devenue pour toute la France un odieux fléau parce que cette mesure a toujours été outrée dans son exécution. Depuis deux ans, on moissonne les hommes trois fois l’année. Une guerre barbare et sans but engloutit périodiquement une jeunesse arrachée à l’éducation, à l’agriculture, au commerce et aux arts.
Fait étonnant, l’impression du discours est votée par deux cent vingt-trois voix contre cinquante et une. Napoléon a pris connaissance du texte, et se précipite, le visage convulsé par la fureur, sur les députés terrifiés :
— Vous cherchez, dans votre adresse, à séparer le souverain de la Nation ; moi seul je suis le représentant du peuple... Le trône lui-même, qu’est-ce ? Quatre morceaux de bois doré recouverts de velours ? Non ! Le trône c’est un homme, et cet homme c’est moi ! C’est moi qui peux sauver la France et non vous... Votre commission m’a plus humilié que mes ennemis. Elle a joint l’ironie à l’insulte. Elle dit que l’adversité est la véridique conseillère des rois. Cette pensée est vraie mais l’application qu’on m’en fait est une lâcheté... Si je voulais vous croire, je céderais à l’ennemi plus qu’il ne demande. Dans trois mois nous aurons la paix ; nos ennemis seront chassés ou je serai mort !
Comme Talleyrand l’indiquera un jour à Charles X, l’Empereur oubliait la troisième solution : la chaise de poste...
Ce même jour – nous sommes le 1 er janvier 1814 — Blücher franchit le Rhin : les villes de Mayence et de Coblence, préfectures françaises, sont occupées. Déjà, l’avant-veille, Genève a été prise et les frontières de l’ancienne France envahies. Avant quinze jours, l’ennemi fera son entrée dans Strasbourg, Saverne, Épinal, Toul, Chaumont, Lunéville, Nancy. Et les maréchaux reculeront toujours.
Maistre déclare à Blacas :
— Le monstre est à terre.
Plus élégant, Talleyrand répète son fameux mot :
— Je crois que c’est le commencement de la fin...
Le 21 janvier, l’Empereur se rend au faubourg Saint-Antoine.
— Est-il vrai que les affaires vont mal ? lui demande un artisan.
— Je ne peux pas dire qu’elle aillent trop bien, répond Napoléon avec franchise.
— Mais comment cela finira-t-il donc ?
— Ma foi, Dieu le sait.
— Mais comment ? Est-ce que les ennemis pourraient entrer en
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