Napoléon
moi un petit homme à l’air actif qui arpentait rapidement son appartement, semblable à un animal sauvage dans sa cage. Il portait un vieil uniforme vert à épaulettes d’or, un pantalon bleu, des bottes à revers rouges. Il n’avait ni la barbe faite ni les cheveux, peignés. Le tabac à priser souillait sa lèvre supérieure et son gilet. Averti de ma présence, il se tourna vivement vers moi avec un sourire courtois, cherchant évidemment à cacher, sous une affectation de placidité, son inquiétude et son agitation. »
Et ce furent les adieux de Fontainebleau...
Le mercredi 20 avril, l’heure du départ a sonné. Le temps est couvert et brumeux. Il fait froid : 7° à huit heures. Dès que « le roi de l’île d’Elbe » apparaît en haut de l’escalier en fer à cheval, le général Drouot annonce d’une voix qui s’entend jusqu’au fond de la cour :
— L’Empereur !
Ce qui reste de la Garde – le premier régiment de Grenadiers à pied et les marins de la Jeune Garde – se trouve aligné sur deux files. Au loin, derrière les grilles, toute la population de la ville s’est massée.
Il y a d’abord un lourd silence, puis les tambours se mettent à battre. D’un geste, Napoléon les interrompt. Suivi des commissaires étrangers et de ses derniers fidèles {30} , il descend les degrés. Parvenu au pied de l’escalier, il s’arrête. D’une voix claire, il lance les paroles immortelles :
— Officiers, sous-officiers et soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans, je vous ai constamment trouvés sur le chemin de l’honneur et de la gloire... Avec des hommes tels que vous, notre cause n’était pas perdue. Mais la guerre était interminable : c’eût été la guerre civile, et la France en fût devenue plus malheureuse. J’ai donc sacrifié nos intérêts à ceux de la patrie.
Sa voix s’étrangle. Après un silence, il poursuit :
— Je pars ! Vous, mes amis, continuez à servir la France... Ne plaignez pas mon sort. Si j’ai consenti à me survivre, c’est pour survivre encore à votre gloire... Adieu, mes enfants ! Je voudrais vous presser tous sur mon coeur. Que j’embrasse au moins votre général, votre drapeau !
Les larmes aux yeux, le général Petit s’avance. L’Empereur ouvre ses bras. Une émotion indicible plane. Les généraux ennemis sentent leur gorge se serrer.
— Qu’on m’apporte l’Aigle !
La garde d’honneur entourant le drapeau du 1 er régiment de grenadiers s’avance. Des noms prestigieux y sont brodés : Marengo, Austerlitz, Iéna, Eylau, Friedland, Wagram, Vienne, Berlin, Madrid, Moskowa, Moscou. Napoléon fait un pas au-devant du drapeau et l’embrasse :
— Cher Aigle, que ce dernier baiser retentisse dans le coeur de tous mes soldats.
On entend des sanglots. L’Empereur fait un dernier effort et reprend d’une voix ferme :
— Adieu, encore une fois mes vieux compagnons, que ce dernier baiser passe dans vos coeurs.
Dans les rangs court un frémissement...
Rapidement, l’Empereur se dirige vers sa voiture où Bertrand l’attend. Le général Petit suit en pleurant. La portière claque. Le cocher enlève ses six chevaux et la berline passe devant la Garde, franchit la grille, puis, arrivée sur la place prend, à gauche, la route de la forêt. L’Empereur roule vers l’exil... Dès que la voiture eut disparu, a raconté le capitaine Parquin, « d’un mouvement spontané et unanime, les soldats brûlèrent les aigles, et quelques-uns, pour ne pas s’en séparer, en avalèrent les cendres ».
Les quatre calèches des commissaires et les huit voitures où se trouve « tout son monde » accompagnent la dormeuse de l’Empereur. Devant la berline impériale, la voiture légère du général Drouot est précédée d’un piquet de cavaliers de la Garde.
À quatre heures, le cortège relaie à Montargis ; – il faut soixante chevaux – la foule entoure la berline et crie Vive l’Empereur. Le soir, on couche au château de Briare. Les Briarois acclament Napoléon et injurient les commissaires. Un aubergiste se plante sous les fenêtres du souverain déchu, improvise une harangue où il n’est question que de « héros, grand homme et ange du ciel ».
Le lendemain, le cortège double les voitures d’apparat de l’Empereur qui, à petites étapes, descendent vers l’Italie. À Nevers – le jeudi 21 au soir –, « l’accueil qu’on nous fit à cet endroit, écrit
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