Napoléon
l’un des commissaires, fut le même qui avait été fait dans les villes précédentes ; on jurait après nous, on nous adressait mille invectives jusque sous nos fenêtres, tandis qu’au contraire on ne se lassait pas de crier Vive l’Empereur ! » L’Empereur passe la nuit à l’Hôtel de la Nation – aujourd’hui Hôtel de France, square de la Résistance – il y avait déjà couché avec Joséphine, en revenant de Milan, au mois de juin 1805.
Les douze cents cavaliers de la Garde qui, depuis Briare, précèdent la berline impériale, quittent l’Empereur à Villeneuve-sur-Allier. L’escorte, proposent les commissaires, pourrait désormais être composée de cosaques et de soldats autrichiens, mais Napoléon refuse. Il ne veut pas être pris pour un « prisonnier d’État ».
Et sa sécurité ?
— Vous voyez bien que je n’en ai aucunement besoin !
En effet, sur tout le parcours les acclamations redoublent.
— Conservez-vous pour nous lui crie-t-on à Roanne ; l’année ne se passera pas que vous ne reveniez.
À Roanne, – où l’on couche le vendredi soir 22 avril –, l’Empereur n’est qu’à trois lieues de Pradines, maison de religieuses fondée par le cardinal Fesch. L’oncle de Napoléon s’y trouve en ce moment avec Madame Letizia. Mais le prélat, qui l’an prochain aura l’inconscience de demander à Louis XVIII de le maintenir Primat des Gaules, ne veut pas se compromettre. Est-ce lui qui empêche la Madré d’aller embrasser son fils ? Ce n’est pas impossible... Toujours est-il que l’un et l’autre se contentent d’envoyer l’aumônier du couvent, l’abbé Jacquemont, saluer le vaincu.
Le lendemain, samedi, le cortège s’arrête à la poste de Latour, peu avant Lyon. Napoléon soupe seul. Puis, les commissaires n’ayant pas terminé leur repas, l’Empereur les attend en faisant les cent pas sur la route. Il est dépassé par le curé de Dardilly-Latour.
— Votre paroisse a-t-elle souffert ? lui demande l’Empereur.
— Oui, Sire, elle a été écrasée de réquisitions.
— Ce sont les suites inévitables de la guerre.
Après un silence, l’Empereur lève les yeux vers le ciel étoilé.
— Autrefois, je connaissais les étoiles, je les ai toutes oubliées. Savez-vous quelle est celle-ci ?
— Je ne l’ai jamais su.
Et la conversation ne va pas plus avant.
La traversée de Lyon se passe sans incident ; il est plus de dix heures du soir. À la Guillotière, un petit groupe attend devant la maison de poste et crie : Vive l’Empereur !
Au jour, l’Empereur peut le constater, les cocardes blanches commencent à apparaître. Les drapeaux tricolores se font moins nombreux. On approche de la Provence royaliste. Le cortège fait halte à Vienne tout au début de la matinée. Puis Napoléon déjeune au Péage-de-Roussillon. Peu avant Valence – c’est le dimanche 24, à midi –, les voitures font halte au bord de l’Isère.
Le maréchal Augereau, remontant vers Paris, se présente. Le vieux compagnon de l’Empereur, l’ancien soldat de la Révolution, que Napoléon a nommé duc de Castiglione, a fait, le 16 avril, une proclamation adressée à ses troupes : « Le Sénat, interprète de la volonté nationale, lassé du joug tyrannique de Napoléon Bonaparte, a prononcé sa déchéance et celle de sa famille... Un descendant de nos anciens rois remplace Bonaparte et son despotisme... Soldats, vous êtes déliés de vos serments par l’abdication d’un homme qui, après avoir immolé des millions de victimes à sa cruelle ambition, n’a pas su mourir en soldat... Jurons donc fidélité à Louis XVIII. »
Napoléon cependant lui tend les bras en lui demandant :
— Où vas-tu comme ça, Augereau ? À la Cour ?
À l’île d’Elbe, l’Empereur, faisant le récit de son voyage, prétendra qu’il ignorait alors la proclamation et qu’il reprocha seulement à Augereau la lenteur de ses opérations, ses négligences et son abandon. Toujours selon Napoléon, Augereau, après cette mercuriale, aurait souhaité embrasser l’Empereur... et « Sa Majesté ne refusa pas cette faveur à son ancien compagnon d’armes ».
Waldbourg-Truchsess raconte, de son côté, que Napoléon, « fatigué par le discours du maréchal », rompt l’entretien, « l’embrasse, lui ôte encore son chapeau, et se jette dans sa berline. Augereau, les mains derrière le dos, ne dérange pas sa casquette de dessus sa tête, et seulement
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