Napoléon
lorsque l’Empereur est remonté dans sa voiture, il lui fait un geste de la main, en lui disant adieu ». Napoléon aurait alors joué la comédie auprès des commissaires :
— C’est un vieux soldat. Il a vieilli vingt ans sous mes ordres.
— Vous me surprenez, répond le général Koller, vous avez été trahi par Augereau : il y a quinze jours qu’il a fait un traité avec nous... et vous ignorez même sa dernière proclamation. On me l’a remise hier, et la voilà.
Napoléon, un peu gêné, s’exclame :
— Si je l’eusse connue, lorsque je l’ai rencontré, je lui aurais bien lavé la tête !
Mais les commissaires ne sont point dupes ! Napoléon connaît assurément la vérité. En accueillant Augereau comme il l’a fait, il a voulu dissimuler, vis-à-vis des étrangers, la bassesse de son vieux compagnon d’armes.
À Valence, – que de souvenirs pour lui ! –, les honneurs lui sont rendus par des grenadiers de l’armée Augereau et par une compagnie de chasseurs autrichiens. Napoléon « avec attendrissement » salue les troupes. Au relais, sur la route de Loriol, à l’instant du changement de chevaux, il y a quelques cris de Vive l’Empereur !
Napoléon passe la tête par la portière.
— Mes amis, je ne suis plus votre empereur, c’est vive Louis XVIII qu’il faut crier.
— Vous, serez toujours notre empereur, dit un vieux voltigeur du 67 e en prenant la main du proscrit.
L’Empereur s’enfonce dans sa voiture.
— Ce brave homme me fait du mal.
Un cuirassier de la première division s’avance.
— S’il y avait vingt mille hommes comme moi, nous vous enlèverions et vous remettrions à notre tête. Ce ne sont pas vos soldats qui vous ont trahi, ce sont vos généraux.
L’Empereur a alors un « mouvement convulsif » que le général Bertrand calme en lui prenant le bras. Un peu plus loin, on croise la brigade Ordener. Les régiments font la haie, et présentent les armes sur le passage de la berline. Quelques soldats « en faible minorité » crient Vive l’Empereur ! Désormais, il n’entendra plus d’acclamations.
Le drame va commencer.
À Montélimar, le dimanche soir, la dormeuse impériale s’arrête vers sept heures devant l ’Hôtel de la Poste. Après avoir posé avec autorité quelques questions sur les récoltes et l’état des routes, Napoléon se met à table avec le grand-maréchal Bertrand et le général Drouot. On lui sert un potage, un poisson, des côtelettes, un fricandeau et des asperges. Le tout avec du chambertin impérial sorti d’une des voitures.
L’Empereur est inquiet... et interroge M. Chabeaud qui tient l’Hôtel de la Poste. Est-il exact qu’en Provence les habitants sont extrêmement montés contre lui ? A-t-on vraiment traîné son buste dans la boue ?
Le même soir, dès la traversée de Donzère, ville royaliste – il est neuf heures et demie – l’Empereur est fixé. Les habitants essayent d’immobiliser sa voiture, demandant « qu’on leur livre le Corse ». Enfoncé dans la berline, l’Empereur, pour la première fois de sa vie, entend les cris de A bas le Tyran ! et de Vive le Roi !... Le cortège brûle la poste.
À l’aube du lundi 25 avril, la dormeuse impériale approche d’Avignon. Se souvient-il, lorsqu’il n’était qu’un maigriot capitaine d’artillerie, d’avoir écrit ici, il y a un peu plus de vingt ans, chez le pharmacien Renaudet, rue Haute, le républicain Souper de Beaucaire ? Par mesure de précaution, le relais a été préparé hors la ville. Mais la foule est là grondante et menaçante. Dès qu’apparaît la voiture de l ’Ogre, des cris s’élèvent :
— À la potence Napoléon !
Des hommes en armes entourent l’équipage. Un certain Mollot, enrôlé, dit-on, par le comité royaliste de Paris, s’efforce d’ouvrir la portière. Bertrand et Drouot s’interposent. Le chasseur Noverraz braque un pistolet sur Mollot qui recule. Enfin, la garde urbaine dégage le cortège. Vite, on attelle et, quelques minutes plus tard, la berline, distançant les véhicules de la suite, part au grand galop.
La voiture impériale pénètre dans Orgon et descend {31} vers l’auberge où devrait se trouver le relais. Rien n’est prêt. L’Empereur décide alors de déjeuner à l’hostellerie. Mais la foule s’amasse à l’extérieur et veut empêcher les palefreniers de changer les chevaux. « Dès qu’un postillon avait un peu attelé, nous dit
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