Napoléon
l’inventeur de la Caroline, membre du Corps législatif {32} . Napoléon retrouve là sa soeur Pauline. La « petite païenne » est effarée en voyant son frère encore vêtu de son curieux accoutrement.
— Je ne puis vous embrasser, lui aurait-elle déclaré, tant que vous porterez cet uniforme autrichien.
Avec un pauvre sourire, il va se changer.
Le mercredi 27, l’Empereur, toujours accompagné de ses «gardiens », arrive avant midi à Fréjus et s’installe à l’auberge du Chapeau Rouge. De là, il écrit à Marie-Louise : « Ma santé est bonne, mon courage au-dessus de tout ; il ne serait affaibli que par l’idée que mon amie ne m’aime plus. Donne un baiser à mon fils... »
Le lendemain, jeudi 28 avril, il est prêt à embarquer, mais le vent manque et il reste dans sa chambre du Chapeau Rouge. Il est pris de malaises et de vomissements. Est-ce l’émotion de la route ? Ou bien ést-il incommodé par la langouste qu’il a mangée la veille ?... Le soir, il se rend à Saint-Raphaël où l’attend l’Undaunted et s’embarque près de l’actuelle douane. En montant à bord, il est reçu avec les honneurs dus à un souverain.
Le vendredi 29, à onze heures du matin, le vent revenu, la frégate anglaise lève l’ancre. L’Empereur demeure sur le pont, le rivage s’éloigne lentement, ce même rivage qu’il avait vu surgir de la mer le 17 vendémiaire, an VIII, à son retour d’Égypte, il y a de cela quinze années...
Quinze ans !
Toute la prodigieuse épopée s’est déroulée en cent quatre-vingts mois ! Celui qui n’est plus aujourd’hui que le roi de l’île d’Elbe – cette royauté à la Sancho Pança ! – continue à fixer l’horizon comme s’il pouvait encore distinguer les contours des côtes de France qui s’estompent peu à peu dans la brume. Près de lui se tient le feld-maréchal Koller. L’Empereur pense à cette terrible journée du lundi 25 avril, il évite le regard narquois du général de son beau-père.
— Je me suis montré cul nu, lui avoue-t-il sans oser le regarder.
Napoléon a eu peur ! Lui qui n’a jamais tressailli sur un champ de bataille, une foule hurlante l’a fait trembler ! Il a la phobie de l’émeute et la bête humaine déchaînée lui fait horreur. Le 18 Brumaire il avait été comme paralysé. Cette fois, l’agonie de Fontainebleau, cette impression d’être « au milieu des loups », cette mort qui s’est refusée à lui, ont ébranlé ses nerfs... Et la panique lui a fait prendre le galop sur la route pierreuse de Provence ; et dans la triste salle commune de l’auberge de la Calade, l’angoisse lui a étreint le coeur.
Il aurait, d’ailleurs, préféré mille fois la mort. Ne l’oublions pas, il est l’être de ce mot admirable :
— Je suis un homme qu’on tue, mais qu’on n’outrage pas !
Le premier mai, la frégate passe très au large d’Ajaccio. Le 2 mai, l’Undaunted demeure en panne devant Calvi. Que de souvenirs là aussi... Sent-il venir jusqu’à lui le parfum de la terre corse qu’il prétendait autrefois pouvoir reconnaître à trois lieues au large de sa terre natale ?
Ce même jour, l’ex-roi de Rome et sa mère, entourés de cavaliers autrichiens, passent la frontière française. Marie-Louise vient d’apprendre les scènes qui se sont déroulées en Provence et, dans son Journal intime, elle trace ces lignes : « Que son âme a dû être affectée cruellement ! Je me reproche de ne l’avoir pas suivi. Je l’abandonne donc aussi ? Oh ! mon Dieu ! Que va-t-il penser de moi ? Mais je le rejoindrai, dussé-je être éternellement malheureuse... »
Je le rejoindrai...
Le soir du mardi 3 mai, après avoir dépassé l’îlot de Capraja, ayant derrière lui les côtes de la Corse et à sa gauche celles de la Toscane, Napoléon voit surgir des flots une île haute sur la mer Tyrrhénienne et occupant peu à peu tout l’horizon. Le bras de mer qui la sépare de Piombino – là où régnait encore quelques semaines auparavant sa soeur Elisa – n’est large que de six milles.
L’Empereur regarde la chaîne des monts rocheux qui, de ce côté, atteignent mille mètres – le Monte Capanne les dépasse même de dix-huit mètres. Les côtes semblent rongées, découpées, déchiquetées par la mer, mais la silhouette de l’île, frappée à cette heure-là de plein fouet par le soleil couchant, n’en est pas moins rendue scintillante par le granit trouant la
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