Napoléon
neveu et de tant de jeunes gens !
Et la conversation se poursuit sur ce ton ! En arrivant, une heure plus tard, à la Calade, les commissaires trouvent « le ci-devant souverain du monde plongé dans de profondes réflexions, la tête appuyée dans ses mains ».
« Je ne le reconnus pas tout d’abord, a écrit le commissaire prussien, et je m’approchai de lui. Il se leva en sursaut en entendant quelqu’un marcher, et me laissa voir son visage arrosé de larmes. Il me fit signe de ne rien dire, me fit asseoir près de lui, et tout le temps que l’hôtesse fut dans la chambre, il ne me parla que de choses indifférentes... On se mit à table, mais comme ce n’étaient pas ses cuisiniers qui avaient préparé le dîner, il ne pouvait se résoudre à prendre aucune nourriture, dans la crainte d’être empoisonné. Cependant, nous voyant manger de bon appétit, il eut honte de nous faire voir les terreurs qui l’agitaient et prit de tout ce qu’on lui offrit. Il fit semblant d’y goûter, mais il renvoyait les mets sans y toucher. Quelquefois, il jetait dessous la table ce qu’il avait accepté pour faire croire qu’il l’avait mangé. Son dîner fut composé d’un peu de pain et d’un flacon de vin, qu’il fit retirer de sa voiture et qu’il partagea même avec nous... Il rêvait aussi aux moyens de tromper le peuple d’Aix, car on l’avait prévenu qu’une très grande foule l’attendait à la poste. Il nous déclara donc que ce qui lui semblait le plus convenable, c’était de retourner jusqu’à Lyon, et de prendre, de là, une autre route pour s’embarquer en Italie.
« Nous n’aurions pu en aucun cas consentir à ce projet, et nous cherchâmes à le persuader de se rendre directement à Toulon, ou d’aller par Digne à Fréjus. Nous tâchâmes de le convaincre qu’il était impossible que le gouvernement français pût avoir des intentions si perfides à son égard, et que la populace, malgré les indécences auxquelles elle se portait, ne se rendrait pas coupable d’un crime de cette nature... »
Comment « tromper le peuple d’Aix » qui doit être prévenu de son passage et l’attend au prochain relais ? Les commissaires ne semblent pas bien, à son gré, saisir la gravité de la situation. Aussi, Napoléon leur raconte ce que l’hôtesse lui a demandé : « On noyera Bonaparte, n’est-ce pas ? »
— Vous voyez bien à quel danger je suis exposé ! La suite du récit du commissaire prussien est-elle exacte ? Les historiens napoléoniens, qui ne nient pas son authenticité, ont le plus souvent évité de transcrire ces lignes :
« Il nous pria d’examiner si il n’y avait pas quelque part une porte cachée par laquelle il pourrait s’échapper, ou si la fenêtre dont il avait fait fermer les volets en arrivant, n’était pas trop élevée pour pouvoir sauter et s’évader ainsi. La fenêtre était grillée au-dehors, et je le mis dans un embarras extrême en lui communiquant cette découverte. Au moindre bruit, il tressaillait et changeait de couleur. »
Elle existe toujours cette fenêtre, à plus de deux mètres au-dessus du sol, dans la petite pièce – presque un débarras – donnant dans la salle commune. Et l’on ne peut voir cette manière de trappe sans avoir le coeur serré.
Toute une foule venue des hameaux environnants, s’est peu à peu amassée devant l’auberge ; l’Empereur décide de quitter la Calade à minuit. Il met l’uniforme du général Koller, se décore de l’ordre de Sainte-Thérèse que porte l’officier autrichien, coiffe la casquette du comte de Waldbourg-Truchsess et s’enveloppe dans le manteau du commissaire russe. L’aide de camp du général Schouvalov revêt la redingote bleue et le chapeau rond portés par Napoléon à son arrivée.
Les voitures sont avancées.
Précédé par le général Drouot, le faux Napoléon sort de l’auberge. Il est suivi par l’aide de camp et par les commissaires, au milieu desquels, la casquette enfoncée jusqu’aux sourcils, se dissimule l’Empereur sous son étrange déguisement d’uniformes ennemis. « Nous traversâmes ainsi la foule ébahie qui se donnait une peine extrême pour tâcher de découvrir parmi nous celui qu’elle appelait son tyran. »
On s’arrête pour déjeuner au hameau de la Grande-Pugère. À quatre heures, l’Empereur traverse Saint-Maximin, puis Tourves et passe la nuit au Luc, au château de Bouilledou appartenant au physicien Charles,
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