Napoléon
terre ferrugineuse. Aussi les Anciens appelaient-ils cette terre tourmentée : Athalia-la-brillante {33} .
Ce n’était plus que l’île d’Elbe, faisant partie du département français de la Méditerranée, chef-lieu Livourne, sous-préfecture Porto-Ferrajo, capitale du royaume d’opérette accordé par les Alliés à celui qui les a si souvent humiliés.
Alors que l’Empereur vogue vers son îlot, Louis XVIII fait sa « joyeuse entrée » dans Paris. Le roi, Madame Royale devenue la duchesse d’Angoulême, le duc de Bourbon et son père, le vieux prince de Condé, qui ne comprend pas très bien de quoi il s’agit, ont pris place dans une calèche traînée par huit chevaux blancs des écuries impériales, tenus par des piqueurs revêtus de la livrée de l’Empereur. La voiture est précédée ou suivie – les témoins ne sont pas d’accord sur ce point – par la Garde impériale. Certains vieux grognards ont descendu leur bonnet à poil jusque sur leurs yeux. Ils préfèrent ne pas regarder. « Leur mâchoire se contractait de rage impuissante... Quand ils présentaient les armes, c’était avec un mouvement de fureur, et le bruit de ces armes faisait trembler... »
Ce n’est pas l’entrée de Louis XVIII, mais la chute de Napoléon que l’on célèbre.
XXIII
LE ROITELET
L’homme de génie se retrouve toujours, après une faute comme après un malheur.
N APOLÉON .
P UISQUE l’île d’Elbe était une sous-préfecture, un sous-préfet toscan y résidait. Il se nommai Louis Balbiani. C’était un personnage assez insignifiant qui, dit-on, n’était « pas un méchant homme, mais un homme faible ». Il avait été épouvanté en assistant à l’insurrection d’une partie des troupes de la garnison, à l’annonce de la capitulation de Paris. Les trois mille à quatre mille mutins, d’origine toscane, italienne ou corse – qui n’étaient autres que des déserteurs de la Grande Armée – avaient piétiné le drapeau tricolore aux cris de Vive l’Angleterre ! – et même, à Marciana, avaient brûlé l’effigie de Napoléon. Non sans mal, en armant des Elbois et avec quatre cents Français du 35 e de ligne demeurés fidèles, les généraux Dalesme et Duval étaient parvenus à vaincre les révoltés, et à s’en débarrasser en les envoyant sur le continent.
Cependant la mentalité des habitants n’était guère favorable à Napoléon, aussi les officiers, le sous-préfet et le maire Traditi avaient-ils jugé préférable de garder secrète la nouvelle apportée de Paris par un officier d’état-major : Napoléon, après son abdication, avait reçu l’île d’Elbe en toute souveraineté. Au vrai, la chose paraissait si incroyable ! Au maître déchu, à défaut de la royauté de la Corse ou d’une résidence forcée dans quelque château, seul un départ vers les États-Unis aurait peut-être pu convenir, mais lui demander de venir jouer au souverain sur cette île de deux cent vingt-cinq kilomètres carrés, peuplée de douze mille habitants, avait l’air d’une mauvaise plaisanterie. Les autorités se contentèrent d’arborer le drapeau blanc. L’île demeurait sous-préfecture française mais, par ce geste, devenait royale. Cependant, les Elbois se considéraient comme étant toujours en guerre avec l’Europe. C’est pourquoi, le soir du 3 mai 1814, en voyant s’approcher YUndaunted, les batteries des forts d ’Isola Elba reçurent l’ordre de se tenir prêtes à tirer sur le vaisseau ennemi. Mais la frégate hissa le pavillon parlementaire et, à voilure réduite, se dirigea vers l’entrée de la rade.
Napoléon avait emporté de la bibliothèque de Fontainebleau un petit livre : Notice sur l’île d’Elbe, et il ne fut pas trop surpris en ne voyant, du pont de l ’Undaunted, que deux forts qui encadraient, au sommet de la colline, les toits de deux ou trois masures. Pour découvrir Porto-Ferrajo, qui, en contrebas, s’étage en croissant entre ces deux forts, il faut en effet pénétrer dans le petit golfe. Tournant curieusement le dos à la mer, Porto-Ferrajo est construit sur une presqu’île. En 1814, un fossé coupait même l’isthme, et la capitale était entourée d’eau salée.
Pour pénétrer dans le port, l’Undaunted dut d’abord s’engager dans le goulet et s’avancer vers le fond de la baie, puis elle dépassa la Linguella – où se dresse la Torre di Martello ou di Passanante {34} , une grosse tour ronde et trapue
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