Napoléon
qui servait de prison du temps de Cosme de Médicis – et enfin, avant de jeter l’ancre, la frégate opéra un demi-tour complet et se trouva alors dans un petit lac s’étendant devant la ville.
Napoléon reste à bord, tandis que Bertrand, Drouot et Campbell prennent place dans une chaloupe et sont accueillis sur le quai par le général Dalesme à qui ils remettent cette lettre de l’Empereur : « Général, j’ai sacrifié mes droits aux intérêts de la patrie, et je me suis réservé la souveraineté et propriété de l’île d’Elbe, ce qui a été consenti par toutes les puissances. Veuillez faire connaître le nouvel état des choses aux habitants, et le choix que j’ai fait de leur île pour mon séjour, en considération de la douceur de leurs moeurs et de leur climat. Dites-leur qu’ils seront l’objet constant de mes plus vifs intérêts... »
Le choix ! Napoléon pensait ainsi donner le change, et chacun – les généraux, le sous-préfet et le maire Pietro Traditi – de jouer le jeu et de préparer pour le lendemain l’entrée de l’Empereur – car Napoléon, « roi de l’île d’Elbe », n’en gardait pas moins son titre impérial.
Il fallait d’abord amener du haut des deux forts, le Falcorte et le Stella – le Faucon et l’Étoile – le pavillon blanc de Louis XVIII et hisser à sa place le nouvel emblème. Napoléon, qui pensait à tout, avait songé à ce dernier durant la traversée et l’avait fait exécuter à bord même de la frégate. Il savait que l’écu des Médicis, anciens souverains de l’île, se composait d’une bande de gueules sur fond d’argent. Aussi avait-il simplement ajouté à ces couleurs trois abeilles d’or « semées » sur la bande transversale.
Comment annoncer la grande nouvelle aux Elbois ? Le sous-préfet établit ce texte au style ampoulé, que l’on décide de faire placarde » à l’aube dans la ville : « Aux habitants de Porto-Ferrajo. Le plus heureux événement qui pût jamais illustrer l’histoire de l’île d’Elbe s’est réalisé en ce jour ! Notre auguste souverain l’Empereur Napoléon, est arrivé parmi nous.
Nos voeux sont accomplis : la félicité de l’ile d’Elbe est assurée... Unissons-nous autour de sa personne sacrée, rivalisons de zèle et de fidélité pour le servir. Ce sera la plus douce satisfaction pour son coeur paternel. Et ainsi nous nous rendrons dignes de la faveur que la Providence a bien voulu nous accorder. »
Puis les autorités, formant députation, prennent place dans la chaloupe pour se présenter à leur souverain. Parmi elles, se trouve le fils d’un aubergiste espagnol installé à Cette, André Pons, dit de l’Hérault, car il avait failli représenter ce département à la Convention. Ardent républicain, il avait, sous la Révolution, – mode de l’époque – abandonné son prénom pour choisir ceux de Marat-Lepeletier. Pons avait connu Bonaparte au siège de Toulon, lui avait même fait apprécier à Bandol une savoureuse bouillabaisse, mais n’en était pas moins demeuré un farouche jacobin. Il ne pensa assurément pas cesser de l’être en acceptant d’entrer dans l’administration de l’Ordre de la Légion d’honneur, qui lui avait offert de diriger les mines de fer de l’île d’Elbe. C’est en cette qualité qu’il se joignit à la députation chargée de « complimenter » l’ex-maître de l’Europe et de le féliciter d’être devenu souverain d’un îlot méditerranéen :
« Le vainqueur de tant de nations, le Roi de tant de rois, exilé sur un misérable rocher ! Et la France veuve de son héros !.... écrira Pons, en cette langue dont il possédait le secret avec quelques-uns de ses contemporains. Que de réflexions tristes je fis ! Que d’émotions pénibles j’éprouvai ! J’étais dans une agitation extraordinaire quand nous montâmes à bord de la frégate anglaise sur laquelle Napoléon était... Nous lui fûmes présentés par le général Bertrand. Oh ! comme je voudrais pouvoir rendre l’impression que sa vue fit sur moi ! Respect, attendrissement, peine, plaisir, crainte, espérance, tous les sentiments me maîtrisaient à la fois. Mon âme était tout entière dans mes yeux et mes regards dévoraient le moindre de ses mouvements ! Sa figure était calme et presque riante ; il portait l’uniforme des chasseurs de la Garde ; ses bras étaient croisés derrière le dos, et il tenait un petit chapeau rond à
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