Napoléon
Napoléon décide d’établir à cet emplacement – le plus beau de Porto-Ferrajo – son « palais ». Il fait remanier le rez-de-chaussée, en réunissant les deux pavillons qui existent déjà et en ordonnant d’élever un étage.
Lorsqu’on pénètre aujourd’hui dans cette maison dont l’aspect extérieur est plutôt riant, avec ses murs roses et ses volets verts, on est envahi par un navrant sentiment de tristesse. Les appartements sont carrelés de rouge et blanchis à la colle. L’exiguïté du bâtiment n’a pas permis la construction d’un couloir et les pièces, adossées entre elles, ouvrent soit sur la ville, soit sur le jardin et la mer. Seuls, les deux salons du rez-de-chaussée et du premier étage viennent rompre la monotonie de ce plan.
L’Empereur s’est réservé pour son « intérieur », selon son expression, quatre petites chambres. Côté jardin : son cabinet de travail et un petit salon ; côté ville : une bibliothèque et sa chambre à coucher. Pour obtenir le grand salon du premier étage – celui que viendra habiter Pauline –, il faudra la surface de ces quatre pièces.
Ce Salon, en dépit de ses nobles proportions, ne suffisait point à la courette elboise ; aussi, en retour d’angle, l’Empereur fera-t-il transformer l’ancien entrepôt des farines en une longue salle de bal donnant sur le jardin par sept portes-fenêtres. Elle sert aujourd’hui de salle de congrès, et l’on devine encore sur ses murs les peintures en trompe-l’oeil exécutées à l’époque.
Pour meubler son palais, Napoléon va tout bonnement piller sa famille. Il envoie un voilier à Piombino. Là se trouve le palais qu’Élisa – grande-duchesse de Toscane et princesse de Piombino – a été contrainte d’abandonner, en dépit du pacte qui la lie à Murat. Le palais est occupé par le général autrichien Starhemberg, qui pousse des cris en voyant les fourriers du roi d’Isola Elba emporter les meubles, les rideaux, et même les planchers de sa demeure – et ne lui laissant, en échange, qu’un simple reçu. Napoléon hérite ainsi du lourd et disgracieux lit doré d’Élisa, un lit sculpté – torchères aux angles, ciel de lit soutenu par des cygnes et surmonté d’une lyre – dans lequel la Bacciocha – ainsi que l’appelaient ses sujets toscans – avait passé des heures quelque peu légères...
— J’ai puni ma soeur et volé l’Autriche qui lui a succédé, déclara l’Empereur en riant.
Avec la même absence de scrupule, il déleste son beau-frère Borghèse de quelques biens au passage. La tempête ayant obligé le navire qui emportait vers Rome les malles du mari-figurant de Pauline, de relâcher à Porto-Longone, Napoléon donne l’ordre de réquisitionner la cargaison. Ses soeurs et ses beaux-frères ne lui doivent-ils pas tout ? Et puis cela ne sort point de la famille !
Voici les Mulini bien pourvus. Aujourd’hui, après cent avatars, on est parvenu à rassembler une faible partie de cet ameublement disparate auquel on a joint quelques objets et meubles datant manifestement de Louis-Philippe ou du Second Empire... On n’en a pas moins l’impression de visiter une villa destinée à être louée meublée et dans laquelle les propriétaires n’ont laissé que le strict nécessaire.
Le jardinet, joliment dessiné, nous émeut et nous charme. La mer, qui vient battre à une trentaine de mètres plus bas les rochers, ce vaste horizon bordé dans le lointain par la côte italienne, les deux forts qui de leur masse grise encadrent le paysage, font oublier la mélancolie qui se dégage du « palais ». On imagine le proscrit, chassé la nuit de sa chambre par la chaleur, sortant dans son jardin ainsi que le rapporte Marchand : « Le calme de ces délicieuses nuits n’était interrompu que par la vague qui se brisait à deux cents pieds au-dessous de la terrasse sur laquelle il se promenait, et par le Qui vive ? de la sentinelle, ou par l’Empereur s’il se mettait à chanter, ce qui lui arrivait quelquefois en pensant à autre chose ; car il était rarement dans l’air et répétait un quart d’heure les mêmes paroles. C’était : Si le roi m’avait donné Paris, sa grande ville. Il en changeait la fin et substituait à : J’aime mieux ma mie... Rendez-moi Paris. C’était aussi : Oui, c’en est fait, je me marie. Ou bien : Voilà le jour, Colette ne vient pas. Ou encore : Marat, du peuple le vengeur. Comme je l’ai dit,
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