Napoléon
supérieur... »
Tandis que Pons s’inclinait devant lui, Napoléon lui avait annoncé, pour le lendemain, sa visite aux mines de Rio Marina, situées sur la côte orientale de l’île, à vingt kilomètres de Porto-Ferrajo. Aussi, dès le matin du 5 mai, l’Empereur, accompagné de Dalesme, de Campbell et de quelques officiers, quitte Porto-Ferrajo par la Porte de Terre. De la route qui longe le fond du petit golfe, le paysage est admirable. Porto-Ferrajo, toute scintillante au soleil – ses maisons blanches et roses aux volets verts étagées en demi-cercle – protégée par les deux forts de pierre grise, semble une conque surgie de la mer. Avant d’arriver à Porto-Longone – aujourd’hui Porto-Azurro –, l’Empereur manifeste l’envie d’aller visiter le village de Capoliveri – le sommet de la liberté – construit en nid d’aigle sur une colline de cent soixante-cinq mètres d’altitude et plantée de vignes. Les habitants sont fiers et ils se refuseront un jour à payer l’impôt exigé par Napoléon. Il faudra envoyer deux compagnies pour amener les Capoliverains à une meilleure compréhension de leur devoir...
Pour le moment, dès le lendemain de son arrivée, l’Empereur éprouvera assurément, dans ce petit village, sa première déception. À cet endroit, il peut se rendre compte à la fois de la pauvreté – la culture y est nulle – et de la petitesse de son royaume. De Capoliveri, le panorama sur les trois mers lui permet de contempler, dans trois directions différentes, aussi bien les golfes de Porto-Ferrajo et de la Stella, que la baie de Porto-Longone. L’horizon est fermé à l’ouest par la Corse et l’île de la Pianosa. On peut même deviner, plus loin – et si le temps est clair – l’île de Monte-Cristo. À vol d'oiseau, l’île d’Elbe a ici moins d’une lieue de large. Dix minutes plus tard, Napoléon atteint le charmant petit port de Porto-Longone. La route quitte de nouveau la mer, monte vers la montagne pour redescendre sur Rio Marina, le village dont les roches de cristaux d’oxyde de fer scintillent sous le soleil.
Le déjeuner chez Pons se passe mal. L’ancien jacobin, plus troublé que mal intentionné, appelle à plusieurs reprises l’Empereur : Monsieur ou Monsieur le Comte’. Des lis en pots ont été mis par inadvertance devant la maison ; Napoléon croit voir dans ce manque de tact involontaire une manifestation de fidélité à Louis XVIII. Pons soupçonné de royalisme, lui qui ne pensait qu’à la république ! Le malheureux, s’imaginant après cette bévue qu’il allait être remplacé, offre assez maladroitement sa démission. L’Empereur refuse. Un peu plus tard, Napoléon enverra à Pons son trésorier Peyrusse pour lui réclamer deux cent mille francs qu’il possède en caisse.
— Mes deux cent mille francs appartiennent à la Légion d’honneur, répondra-t-il, en refusant.
L’affaire se prolonge durant plusieurs jours et les deux hommes échangent un dialogue épique :
— Vous me verserez la somme, Monsieur Pons !
— Non, Sire, je ne la verserai pas !
— Monsieur, je suis toujours empereur !
— Et moi, je suis toujours Français !
Finalement – après une démission de nouveau offerte et de nouveau refusée – Pons dut s’incliner. « L’Empereur triompha sans réserve, rapportera-t-il dans ses Souvenirs pour expliquer sa capitulation ; il ne m’avait pas vaincu. »
Pour s’en retourner, Napoléon emprunte une autre route afin de passer par la vieille forteresse étrusque : le Volterraio, qui domine le golfe de Porto-Ferrajo du haut de ses quatre cents mètres. De là, comme la veille à bord de l’Undaunted – et comme tout à l’heure lorsqu’il regagnera Porto-Ferrajo par bateau – l’attention de l’Empereur est attirée par un ensemble de constructions qui dominent la ville entre les deux forts et dont la vue donne à la fois sur la mer et sur le golfe. Il s’agit de bâtiments construits jadis sur Jean-Gaston, de Médicis pour servir de Palais de Justice et de prison, mais vite déchus de leur destination première, ils avaient été transformés en logement pour le jardinier. Deux moulins – d’où le nom de Mulini – y tournaient au vent du large. Quelques années avant l’arrivée de l’Empereur, ils avaient été démolis et les commandants français – ceux de l’artillerie et du génie – s’étaient installés aux « Mulini » après les avoir agrandis.
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