Napoléon
charmes étaient dans tout leur éclat », donne au palais « un air de galanterie et d’enjouement ». Les réceptions en avaient bien besoin... Du moins s’il faut en croire Campbell qui décrit, avec ironie, un cercle de dames elboises interrogées par l’Empereur comme il le faisait aux Tuileries. Napoléon s’arrêtait devant chacune d’elles, « se faisant dire son nom, et lui demandant si elle était mariée ou demoiselle, combien elle avait d’enfants, ce qu’était son mari ou son père... »
Maintenant, dans la salle nouvellement construite, retentissent les accords de l’orchestre de la Garde. On danse, on donne des représentations théâtrales, on se déguise même... Pour les bals masqués du Carnaval de 1815 Napoléon dicte : « Les invitations devront s’étendre sur toute l’île sans cependant qu’il y ait plus de deux cents personnes... Il y aura des rafraîchissements sans glace, vu la difficulté de s’en procurer. Il y aura un buffet qui sera servi à minuit. Il ne faudrait pas que tout cela coûtât plus de mille francs. »
Si Napoléon ne s’y ruine pas, il n’en est pas de même des femmes des notabilités de l’île qui n’osent se présenter aux réceptions du « palais » deux fois avec la même robe. « Tout cela, nous rapporte Pons, conduisait à la catastrophe. »
Napoléon semble – extérieurement – résigné à n’être plus que le roi de l’île d’Elbe. Il ordonne des plantations d’arbres le long des routes : « On ne devra planter que des mûriers qui sont utiles dans un pays où il n’y a pas de pâturages, et qui pourront, par la suite, être d’un bon produit pour la nourriture des vers à soie. »
S’il joue la comédie, il la joue superbement ! « Il a quatre résidences dans diverses localités de l’île, rapporte Campbell, et son unique occupation consiste à y faire des changements et des améliorations. » Est-ce pour mieux berner l’Anglais que l’Empereur affiche parfois un étrange « état d’inactivité » en demeurant à se reposer de longues heures dans sa chambre ? Et Campbell de conclure : « Je commence à croire qu’il est tout à fait résigné à sa retraite et qu’il se trouve passablement heureux. »
XXV
L’EVASION
Les calculs sont bons lorsqu’on a le choix des moyens. Lorsqu’on ne l’a pas, il est des hardiesses qui enlèvent le succès.
N APOLÉON .
S I le colonel Campbell, chargé officieusement de la surveillance de Napoléon à l’île d’Elbe, n’avait pas été amoureux à en perdre la tête, assurément l’impérial exilé ne serait point parvenu à quitter son carré de choux de Porto-Ferrajo. Sans doute plusieurs générations de marchands d’estampes n’auraient-ils point fait fortune en vendant le légendaire vol de l’Aigle de clocher en clocher, « jusqu’aux tours de Notre-Dame », mais le traité de 1815 n’aurait pas arraché à la France les territoires qui lui avaient été laissés en 1814, et – surtout – le flot de sang de « Waterloo n’aurait point coulé...
Le colonel Campbell possédait un oeil sec et perçant. Son oreille était toujours tendue et son sourire factice. Il ne parlait « que pour faire parler ». « Son ensemble, nous dit Pons de l’Hérault, était la perfection du type britannique. » Cette perfection, on le sait, s’arrête aux portes de l’amour : un Anglais amoureux perd calme, flegme et maîtrise de soi !
Tel était le cas du colonel dont le coeur – s’il faut en croire Hyde de Neuville – battait à se rompre pour sa maîtresse, la jolie, et très mondaine, comtesse Miniaci, qui parlait indifféremment l’italien, l’anglais et le français. Cette ravissante personne ne venait point retrouver son amant à l’île d’Elbe, elle préférait le rencontrer à Florence, à Livourne ou à Lucques.
De ce fait, durant les neuf mois et vingt-deux jours de l’exil de l’Empereur, son surveillant Campbell fit de nombreuses fugues sur le continent. Durant huit à quinze jours par mois, il s’absentait ainsi de l’île d’Elbe pour aller rejoindre sa belle comtesse... C’est ce qu’il appelait dans son journal, des voyages « pour sa santé et son amusement ».
C’est ainsi que le 14 février 1815, à bord de sa frégate – la Partridge – il fit voile vers Livourne... et ses amours. Lorsqu’il revint, le mardi 28 février, à midi, à Porto-Ferrajo, Napoléon s’était envolé depuis le soir du
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