Napoléon
Napoléon reçoit la rente stipulée dans les traités, il restera ici parfaitement tranquille, à moins d’un événement extraordinaire en Italie ou en France. »
Sur ce point, Campbell voyait juste : si le roi de France s’obstinait toujours à ne pas vouloir payer au roi de l’île d’Elbe la rente annuelle de deux millions prévue par le Traité de Paris, la faim pourrait faire sortir le loup du bois.
Le colonel n’ignorait pas non plus que Napoléon avait appris qu’il avait été question au Congrès de Vienne de l’enlever et de le déporter loin de l’Europe. En effet, Talleyrand, à peine arrivé à Vienne, avait écrit à Louis XVIII : « On montre une intention assez arrêtée d’éloigner Bonaparte de l’île d’Elbe. Personne n’a encore d’idée fixe sur le lieu où on pourrait le mettre. J’ai proposé une des Açores. C’est à cinq cents lieues d’aucune terre. » Le roi trouva l’idée « excellente » : « Il est plus que temps, avait-il affirmé, que les puissances s’entendent pour arracher la dernière racine du mal. »
Au mois de novembre, les Açores sont estimées encore trop près et, pour la première fois, le nom de Sainte-Hélène est lâché. C’est le roi de Bavière – devenu roi par le bon plaisir de Napoléon – qui l’annonce à un membre de la délégation genevoise, en ajoutant même :
— Au moment où je vous parle la chose doit être faite, et pour mon compte, j’en suis bien charmé, car je n’étais pas tranquille tant que je savais ce diable d’homme si près du continent.
L’Empereur, apparemment, n’était au courant de rien, mettant en application sa maxime :
— On déjoue beaucoup de choses en feignant de ne pas les voir.
Mais rien ne lui échappait. Nous l’avons vu, l’Empereur possédait des observateurs. Il est certain que Cipriani, « maître Jacques employé à l’office et à la police », selon l’expression d’Henry Houssaye, fit plusieurs voyages sur le continent et alla même à Vienne. Par lui et par ses « collègues », l’Empereur connaissait tout ce qui se tramait. Il n’avait, d’ailleurs, nullement besoin d’avoir à Vienne un informateur, il lui suffisait d’ouvrir le Journal des Débats en date du 19 novembre, qui affirmait : « On dit qu’on a arrêté en Italie quelques agents ou émissaires de Bonaparte et qu’en conséquence il sera transféré à l’île Sainte-Hélène. »
— Je ne pense pas, s’exclama l’Empereur, que l’Europe veuille s’armer contre moi ; je ne conseillerais pas toutefois qu’on vienne m’attaquer ici, ils pourraient payer cher leur entreprise. J’ai des vivres pour six mois, une bonne artillerie et des braves pour me défendre. On m’a garanti la souveraineté de l’île d’Elbe ; je suis chez moi, et je ne conseille à personne de venir m’y troubler.
Le 10 février, le Congrès, dans une séance secrète, franchit le dernier pas : la déportation est décidée. Campbell, en dépit de la résignation témoignée par son « prisonnier », sentit le danger. Ces projets de rapt pouvaient forcer l’Empereur à passer à l’attaque. Aussi, dès son arrivée sur le continent, parla-t-il de ses craintes au sous-secrétaire d’État britannique Cooke qui revenait du Congrès de Vienne.
— Dites à Bonaparte, répondit Cooke en haussant les épaules, qu’il est complètement oublié, comme s’il n’avait jamais existé.
Tranquillisé, le naïf Campbell – alors qu’au même moment la décision de Napoléon était prise – traçait ces lignes dans son journal : « J’étais réellement très inquiet de la position de Napoléon et de ses inconsistances apparentes. Mais après la remarque de M. Cooke je commençai à penser qu’en l’observant de trop près, ainsi que la situation de l’île d’Elbe, je m’étais laissé aller à exagérer les conséquences de ce que j’avais vu, en croyant probable qu’il se préparait à aller rejoindre Murat, pour prévenir la tentative de s’emparer de sa personne. »
« Je défie qui que ce puisse être, écrira Pons, passionné ou non passionné, juste ou injuste, de pouvoir prouver que dans les six ou sept premiers mois de son séjour parmi les Elbois, l’Empereur ait fait la moindre chose qui ait pu faire croire qu’il formait le plan qu’il a ensuite si noblement exécuté. C’est à la fatale nouvelle agitée au Congrès de Vienne pour faire aller Sa Majesté à
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