Napoléon
Sainte-Hélène qu’il faut, non pas uniquement, mais particulièrement, attribuer l’illustre expédition qui nous avait reconduits dans notre belle et malheureuse patrie. »
Assurément, la crainte de se voir enlever et déporter comme un convict aux antipodes devait être une des raisons qui allaient pousser l’Empereur à reconquérir son trône avec une poignée d’hommes – et à risquer, en somme, le tout pour le tout. Mais il y avait d’autres motifs. D’abord la lecture des journaux anglais et français – tel, surtout, le fameux Nain Jaune – qui avait permis au proscrit de se rendre compte du mécontentement qui régnait en France, et des multiples fautes, balourdises et injustices commises chaque jour, bien davantage par l’entourage et la famille de Louis XVIII que par le roi lui-même.
Sans cesse, le comte d’Artois ne venait-il pas se plaindre auprès de son frère « que l’on n’avançait pas » à débornapartiser la France ? Le roi essayait d ’endiguer cette réaction. Il avait promis d’amnistier jusqu’aux violettes symboliques de l’Empire et il désirait tenir parole. Et il répondit à Monsieur qui revenait à la charge :
— Si vous insistez, je mets son buste sur ma cheminée !
On n’en couvrait pas moins d’or et de places ceux qui réclamaient parce qu’ils avaient « tout fait » depuis vingt ans ; d’autres, parce qu’ils n’avaient « rien fait ». Ne vit-on pas un pétitionnaire, simple élève de la marine en 1789, qui avait émigré et n’était plus monté depuis vingt-cinq ans sur un bateau, briguer le grade de contre-amiral qu’il aurait pu avoir s’il était resté au service ?
— Vous pouvez parfaitement admettre toute la logique de ce monsieur, avait déclaré Malouet le ministre de la Marine, et même les conséquences qu’il en a tirées, mais en ajoutant qu’il a oublié seulement un fait essentiel : c’est qu’il a été tué à la bataille de Trafalgar !
Napoléon n’avait pas à craindre qu’on l’oubliât. Chaque bévue commise par le gouvernement qui lui avait succédé lui apportait de nouveaux partisans, ou réchauffait les enthousiasmes. Le roi de l’île d’Elbe en avait la preuve lorsqu’il prenait connaissance de certaines lettres adressées à ses grognards par leurs familles, telle celle-ci, venue d’une habitante de Verdun à son fils et qui le fit rire de bon coeur :
« Je t’aimons ben plus depuis que je te savons auprès de not’fidèle Empereur... Je te croyons bien qu’on vient des quatre coins du monde pour le voir, car ici on est venu des quatre coins de la ville pour lire ta lettre, et qu’un chacun disiont que t’es un homme d’honneur. Les Bourbons ne sont pas au bout et nous n’aimons pas ces messieurs... Je n’avons rien à t’apprendre sinon que je prions Dieu et que je faisons aussi prier ta soeur pour l’Empereur et Roi. »
Lorsqu’on obligeait les soldats de Louis XVIII à crier Vive le Roi ! ils ajoutaient à voix basse de Rome ! « On plaignait le triste sort de Napoléon, nous dit Thibaudeau, on s’attendrissait, on pleurait sur lui... » Le bras étendu, « le coeur ému », les Anciens chantaient le Vieux Drapeau :
Quand secouerons-nous la poussière
Qui ternit tes nobles couleurs ?
Ces battements de coeur de tout un peuple, Napoléon les savourait.
Henry Houssaye, dans son magistral ouvrage – et bien des historiens à sa suite – ont fait grand cas de la visite à Porto-Ferrajo de Fleury de Chaboulon. D’après eux, « l’intrépide sous-préfet » serait arrivé à l’île d’Elbe le 12 ou le 13 février, aurait peint avec tant de noirceur la situation en France, décrit avec tant de chaleur les sentiments des Français attendant leur sauveur, que Napoléon se serait déterminé à partir.
Il semble bien que Fleury de Chaboulon soit apparu seulement à Porto-Ferrajo – déguisé en marin – lorsque Napoléon avait déjà élaboré ses plans pour quitter son île {40} . Quoi qu’il en soit, Fleury de Chaboulon est en quelque sorte un voleur de gloire. Lorsque parurent ses Mémoires, l’Empereur se trouvait à Sainte-Hélène. Or, il existe un exemplaire de ces deux volumes annoté de la main même de l’exilé. Selon le sous-préfet, Napoléon lui aurait avoué :
— Ce que vous m’avez dit a changé mes résolutions.
« Voilà une tête bien organisée ! écrivit ironiquement l’Empereur en marge. Une conversation comme il a pu
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