Napoléon
commencé par se faire mépriser et finissent par se faire haïr. Que pensez-vous de cela, Pons ?
— Sire, je pense que ce serait une grande félicité pour la France que le retour de Votre Majesté sur le trône des Français, si cela pouvait se faire sans verser du sang ; mais je crois aussi que Votre Majesté ne doit pas s’exposer à perdre la gloire immense qu’Elle s’est acquise en descendant volontairement du trône pour assurer la paix de la patrie. Le retour de Votre Majesté en France pourrait occasionner une guerre civile et peut-être une guerre étrangère.
— Ni l’une ni l’autre, affirme Napoléon.
Puis il change de conversation.
Le 16 février, personne ne se doute de rien. La frégate de Campbell n’a pas encore disparu à l’horizon que Napoléon donne l’ordre à Drouot de radouber le brick l’Inconstant – le seul navire de quelque importance qu’il possède – et de le « faire peindre comme un navire anglais ». Afin que Drouot lui-même ne puisse rien soupçonner, Napoléon précise :
— Le brick sera approvisionné pour cent vingt hommes pendant trois mois.
Trois mois ? Alors qu’il fallait trois jours pour gagner la France ! Napoléon envisageait-il de gagner les États-Unis ?
Le 18 février, l’Empereur demande à Pons de l’Hérault qui a deviné ses intentions :
— Avez-vous des bâtiments prêts ?
— Oui, Sire.
— Pour quand ?
— Pour le 20.
— C’est bien. Je compte sur vous. Je vous sais gré du silence que vous avez gardé.
C’est vraisemblablement ce jour-là que Napoléon annonça la nouvelle à Drouot :
— Je suis regretté et demandé par toute la France. Dans peu de jours, je quitterai l’île pour obéir au voeu de la nation.
Le 20 février, l’Empereur ordonne à Drouot de faire passer dans la Garde seize hommes du bataillon corse : « On leur donnera des bonnets à poil s’il y en a ; s’il n’y en a pas, on mettra quelque marque distinctive sur leurs shakos. »
Le 21 février, s’effectuent les premiers préparatifs qui vont donner l’éveil au marchand d’huile : on charge, de nuit, sur l’Inconstant et le chebec l’Étoile, de l’artillerie, des fusils et des caisses de cartouches.
Le 22 février, Napoléon signe cette pièce adressée au général Drouot : « Donnez l’ordre que les trois premières compagnies du bataillon de chasseurs qui sont à Porto-Ferrajo soient entièrement habillées avec des habits verts. » Ce même jour, les chevaux des lanciers polonais, qui se trouvent à la Pianosa, sont embarqués pour la grande île.
Napoléon entre dans la chambre de son trésorier Peyrusse qui bavardait avec l’intendant Balbiani :
— Eh bien, Peyrousse, qu’est-ce qu’on dit de nouveau ? Que vous disait l’intendant ?
— Sire, au moment où Votre Majesté m’a fait l’honneur de venir chez moi, nous causions, avec Balbiani, des bruits qui circulaient dans la ville, que Votre Majesté irait rejoindre le roi de Naples.
— Eh bien, vous êtes deux nigauds...
Puis Napoléon les interroge ; les questions pleuvent !
— Avez-vous beaucoup d’argent ? Combien pèse un million en or ? Combien pèsent cent mille francs ? Combien pèse une malle de livres ?
« Je rassemblai mes esprits, contera Peyrusse, étonné de toutes ces demandes qui n’avaient entre elles aucun rapport, pour satisfaire à toutes ces questions. »
— Eh bien, monsieur le trésorier, reprend l’Empereur, prenez des malles, mettez-y de l’or, et pardessus des livres de ma bibliothèque, que Marchand vous livrera ; renvoyez tout votre monde ; faites vous-même vos emballages.
Le 23 février, on charge des vivres sur l ’Inconstant et l’Étoile. « Pendant ces derniers jours, rapportera Marchand, la grande carte de France fut déployée sur le tapis du salon, l’Empereur à genoux y traçait la route qu’il se proposait de tenir. »
Le 24 février, le soleil levant éclaire la Partridge, revenue mouiller devant Porto-Ferrajo. Campbell est-il à bord ? Non, il file encore le parfait amour à Florence ! Faudra-t-il, cependant, aborder la frégate et désarmer l’équipage ? Fort heureusement, le capitaine Adype, commandant le navire, est simplement venu présenter à l’Empereur six touristes britanniques. Napoléon les reçoit et, l’exhibition terminée, la Partridge remet à la voile et cingle vers Livourne. Aussitôt l’embargo est mis sur tous les bâtiments. Même les
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