Napoléon
pêcheurs ne peuvent lever l’ancre. Les troupes passent des revues d’inspection.
Le 23 février, certains commencent à pressentir que le départ est proche. Mais est-ce vers Naples, vers la Corse ou vers la France que l’Empereur va se diriger ? « Les militaires, écrit le marchand d’huile, font la roue sous leur uniforme et appellent les combats dans l’espérance d’en sortir au moins maréchaux. » La majorité pense que Napoléon veut rejoindre Murat. Lui, laisse dire et demeure enfermé dans son petit bureau des Mulini pour rédiger les proclamations destinées au peuple français, à l’Armée et à la Garde. Après le dîner, il entraîne Mme Letizia au jardin des Mulini :
— Ma mère, il faut que je vous le dise, mais je vous défends de répéter mes paroles à qui que ce soit, pas même à Pauline : je pars la nuit prochaine.
— Pour aller où ?
— À Paris. Quel est là-dessus votre avis ?
— Si vous devez mourir, mon fils, aurait répondu la Madré, le Ciel qui n’a pas voulu que ce soit dans un repos indigne de vous, ne voudra pas, j’espère, que ce soit par le poison, mais l’épée à la main.
Le soir en se mettant au lit, il donne l’ordre à Marchand de préparer deux uniformes :
— Un de chasseur et un de grenadier, des chemises et rien d’autre.
« J’eus soin, ajoute le fidèle valet de chambre, de tenir avec moi, comme il me l’avait recommandé, une cocarde tricolore pour la lui remettre au moment où il me la demanderait. »
Le dimanche 26 février, « le matin du départ, le lever de l’Empereur eut lieu comme à l’ordinaire, racontera Marchand, le docteur Foureau entra comme il était d’usage, au moment où Sa Majesté allait faire sa barbe. »
— Eh bien, Foureau, votre porte-manteau est-il fait ? Nous allons en France.
Le docteur sourit et répondit :
— Je ne demanderais pas mieux, mais je ne vois rien qui m’autorise à y croire !
— Comment ! Puisque je vous le dis, c’est que ça est ! Tenez-vous prêt néanmoins pour ce soir.
« Saint-Denis qui tenait la glace dans laquelle l’Empereur faisait sa barbe, souriait en me regardant, reprend Marchand, pensant que c’était une mystification que l’Empereur faisait à son médecin. Grand fut l’étonnement de l’un et de l’autre lorsque l’Empereur habillé et parti dans son jardin, je leur dis que rien n’était plus vrai que ce que venait de leur dire l’Empereur... »
Cambronne donne ses ordres à l’armée : la soupe sera servie à quatre heures et l’embarquement aura lieu dans l’heure suivante.
Cette fois, la nouvelle court la petite ville. Ce n’est qu’un cri : « L’Empereur part ! » Et la foule se porte vers les Mulini... Il fait un temps magnifique. Tout Porto-Ferrajo est dans la rue et se précipite également vers le port pour contempler la maigre flottille impériale. L’Inconstant, l’espéronade Caroline, les chebecs l’Étoile et Saint-Joseph pourront-ils transporter le millier d’hommes qui constitue l’armée impériale {42} ?
Fort heureusement, il y a là un polacre – le Saint-Esprit – de cent quatre-vingt-dix tonneaux. On le réquisitionne ! Peyrusse estime que la cargaison ne vaut pas les deux mille cinq cents francs demandés par le capitaine. Napoléon saute dans un canot, se fait conduire à bord du Saint-Esprit et lance à Peyrusse :
— Peyrousse, vous n’êtes qu’un paperassier. Payez au capitaine tout ce qu’il vous demandera.
Les soldats descendent maintenant de leurs casernes de San Francisco, du Falcone et de l’Étoile. Tandis que l’embarquement commence et que le port présente le spectacle d’une intense activité, l’Empereur reçoit les notables Elbois au « palais » et leur annonce la nomination du docteur Lapi au grade de général et à la fonction de gouverneur. Puis il ajoute :
— Je vous confie la défense de la place... Je ne puis vous donner une plus grande preuve de confiance que de laisser ma mère et ma soeur à votre garde.
Puis il demande à Pons de partir avec lui. L’ancien Jacobin accepte, les larmes aux yeux. Napoléon demeure ensuite quelques instants seul avec sa mère et sa soeur. Marchand – qui se tient dans la pièce voisine – voit soudain la porte s’ouvrir. Pauline lui remet en sanglotant son collier de diamants :
— Tenez, l’Empereur m’envoie vous remettre ce collier, il peut en avoir besoin.
Et elle lui tend sa main à baiser.
À
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